LIRE et RELIRE – 2

Publié le 18 Avril 2021

LIRE et RELIRE – 2

Traduire un poème

La poésie reste souvent inaccessible au lecteur. Un langage particulier dans la langue. Des mots qui n’ont pas l’emploi habituel. Comment traduire dans une autre langue une métonymie ou une métaphore, en laissant son sens au message ? Faut-il traduire mot à mot ou dire ce que l’on a compris du texte ? En laissant le soin aux mots de dire. Qui, enfin, peut être le plus apte à traduire : le poète lui-même ? Un étranger qui sache interpréter les subtilités de la langue ?

En novembre 2011, je publiais le poème d’un petit écossais de 9 ans qui venait d’être distingué par un jury national en Grande Bretagne.  C’est notre ami John, son grand-père, un médecin à la retraite, qui m’avait envoyé ce poème. Dans le n° 14 de ma revue Les Cahiers de la rue Ventura, je proposais le texte et sa traduction, avec une invitation à « entrer dans l’univers mystérieux d’un enfant de notre époque pour qui le nuit est source de magie ». Qui n’a pas rencontré la langue anglaise pendant ses études ? Voici le texte original et la version française.

 

In my room, at night

In the night,

when magic comes,

the ice-coloured toy cars

shoot  round the race tracks

and flash their lights as they flip off the ramps.

 

The dolls cheerlead

for the watching crowd of beloved cuddly toys

while the brass band plays « Yellow Submarine »

on their tin trumpets and purple plastic saxophones.

 

The lego people build orange bridges

for the train to go over the cracks between the floorboards,

carrying the mini model children away from the noisy race.

They get out at the bookshelf

where the rabbits are reading comics.

 

That is what happens

in the night.

 

                                                Alastair Millar, février 2010

 

(Alastair was 9 years old. He won first prize in the 9-11 age group of the National Children’s Poetry Competition of Great Britain for 2010.)

 

La traduction que je proposais s’éloignait sensiblement du texte anglais afin de recréer l’atmosphère qui règne dans une chambre d’enfant visitée par la magie – atmosphère que j’avais cru percevoir dans le poème du jeune garçon. J’avais travaillé à partir des traductions de Denise Échard, professeur d’anglais à la retraite et de John Millar, le grand-père d’Alastair. Voici…

 

Dans ma chambre la nuit

 

La nuit,

quand la magie commence à opérer,

les voitures miniatures s’élancent sur les circuits,

franchissant les rampes dans un éclair de phares.

 

Devant la foule attentive de mes peluches préférées,

les poupées font les pom-pom girls

accompagnées par la fanfare

qui joue « Yellow Submarine »

(trompettes en étain et saxophones en plastique pourpre).

 

Les personnages du lego construisent des ponts orange

afin que les trains franchissent les fentes du parquet,

emportant des enfants lilliputiens

loin du bruit de la course.

Ils descendent à la bibliothèque,

où les lapins lisent des bandes dessinées.

 

Voilà ce qui se passe,

la nuit,

dans ma chambre quand je m’endors.

 

                                           ( Traduction de Claude Cailleau)

 

 

*******   

 

John Millar a traduit les poèmes de mon  Encres Vives, collection Encres Blanches, paru sous le titre Tu sais bien que la route est longue, lequel ne me plaisait qu’à moitié : J’ai simplifié par la suite en écrivant, pour parler de ce recueil : La Longue route.

Cette métaphore, prolongée en allégorie, je l’ai retrouvée dans Le désert des Tartares. Dans le chapitre VI, la vie est présentée comme une route : parlant d’un rêve de son héros Giovanni Drogo, l’auteur écrit :

« Jusqu’alors, il avait avancé avec l’insouciance de la première jeunesse, sur une route qui, quand on est enfant, semble infinie, où les années s’écoulent lentes et légères, si bien que nul ne s’aperçoit de leur fuite ».

Et l’auteur va vous montrer le personnage qui « poursuit son chemin », les journées qui « sont longues et tranquilles ».

Puis commence la perception inquiétante d’une fuite et de l’impossibilité de revenir en arrière, « un portail (s’étant) refermé derrière (lui) ».

Alors… « Les journées se font toujours plus courtes, les compagnons de voyages toujours plus rares ».

Et vient l’heure de la mort : « Là où finit la route, sur la rive de la mer de plomb… sans une maison, sans un arbre, sans un homme alentour. »

Voilà, je vous ai promené au long de ces deux pages dans lesquelles Buzzati vous montre le destin inéluctable de l’homme. C’est simple, tellement simple que c’est beau. Le thème de ce livre, c’est le temps. Mes amis comprennent que, pendant des années, j’aie fait du Désert des Tartares un livre de chevet… avant de faire la paix avec mes pendules. Dans un album de poèmes pour enfants, les lecteurs peuvent lire :

 

In the sitting room, the old grandfather clock,

unhurriedly, beats like a heart.

Every hour,

it strikes, it strikes,

as if intent on stopping time.

But the time that passes,

hoppity, hoppity, unhurriedly,

does never stop ;

and the never tiring clock

beats like a heart in the silence,

severe,

just like the elderly people of old,

falling asleep in the evening

near the fireside.

 

Claude Cailleau, words to live, 2009

 

Et voici qu’un incident me revient en mémoire : dans un petit salon du livre, un jour que , fuyant le mauvais temps, nous nous étions réfugiés dans une église désaffectée, nous avons vu entrer une femme dont tout de suite je n’ai pas aimé l’allure ni l’air méprisant. Elle s’est approchée de mes bouquins et voyant le cahier des poèmes pour enfants traduits en anglais, elle s’est présentée comme traductrice, a feuilleté, s’arrêtant sur « J’habite le souvenir / d’un homme dans la mort ».

Denise Échard avait traduit ces deux vers, qui étaient devenus : « I live in the remembrance / of a man in death. »

Et la visiteuse, avec un air méprisant : « Ce n’est pas une traduction, ce travail. »

J’ai gardé mon calme, essayant de lui expliquer qu’il y avait là une image et que je ne voyais pas pourquoi, sous sa traduction littérale, elle ne parlerait pas au lecteur anglais.

Mais non, la visiteuse s’est obstinée : ce n’était pas une traduction ! Elle, elle savait !

Quand je lui ai demandé comment elle aurait traduit cette phrase, elle n’a pas répondu et s’est éloignée avec un air suffisant.

J’aurais défendu, bec et ongle, le travail de Denise Échard, bilingue depuis toujours puisque sa mère était écossaise,  son père français, et que, professeur d’anglais, elle me semblait la mieux placée pour saisir les nuances d’un poème dans les deux langues. Je vous en laisse juge.

 

*******  

 

Mais revenons au cahier Encres blanches de ma Longue route ; pour traduire, notre ami John de temps en temps m’interrogeait le soir pour avoir le sens de certains mots et ce que je voulais leur faire dire dans mon poème. À cette occasion, j’ai pu mesurer la difficulté de traduire la poésie dans une autre langue. Et je me suis demandé souvent si une métaphore traduite textuellement pouvait parler aux lecteurs de langues différentes. Qu’en pensez-vous ?

 

Autre problème pour le traducteur : la musique du vers, qui peut disparaître dans le passage à l’autre langue. Pour le n° 9 de mes Cahiers de la rue Ventura, j’avais rédigé  un article intitulé « L’art naît de contraintes et meurt de liberté ». Et illustré mon propos avec un poème de quatre vers :

 

Comme sur un papier infiniment froissé,

sur le nuage de neige figé,

l’été grave ses mots de feu.

Des cris d’oiseaux traquent le silence.

 

Mon ami John avait traduit ainsi ce quatrain musical :

 

As on paper infinitely crumpled,

on the cloud of snow congealed,

the summer etches words of conflagration.

Bird call persues the silence.

 

J’avais commenté le poème en précisant que « dans les deux premiers vers, immobilité, silence, douceur s’expriment dans les mots mais aussi dans le mouvement très lent de la phrase » et que « les allitérations contribuent à accentuer l’impression d’un paysage pétrifié, serein et silencieux. » Que « froissé », ici, n’indique pas un bruit mais un état, et que l’image est visuelle. Quant à l’adverbe infiniment , il éloigne le nuage, donnant en même temps l’impression d’un mouvement ralenti jusqu’à l’immobilité. » Ayant un très mauvais accent lorsque je lis un texte en anglais, je ne peux pas vous dire si la version anglaise de mon petit poème reproduit la musique audible dans les vers en français.

Merci, John, de vous être glissé dans l’univers poétique de votre ami.

 

*******

 

Poétique du matin

 

 

Pour finir en poésie, un petit clin d’œil matinal à un poète discret, qui fut d’abord édité par Michel-François Lavaur dans sa revue Traces puis en recueils. Constant dans ses choix et reconnaissant, il fut des plus fidèles poètes du cercle de Traces.

Au début de ce siècle, il rejoint un deuxième groupe de poètes qui publient la revue 7 à dire et quelques livres sous la belle couverture des Éditions Sac à Mots.

Curieusement, dès 1957, quand Gilles Fournel m’accueille dans sa revue Sources, j’ai la surprise d’y trouver « Tout avenir », un poème de Claude Serreau.

Je n’ai pas regardé, mais je suis sûr que nous avons coexisté plusieurs fois dans Traces, la revue de MFL (c’est avec ces trois initiales que Lavaur signait ses courriers, après la formule « Amitié et vœux permanents ».

Ensuite, dans 7 à dire, au début de ce siècle j’ai retrouvé Claude Serreau. Jean-Marie Gilory lui a fait en 2010 un beau livre : Raisons élémentaires, une anthologie où l’on retrouve les titres de ses publications  antérieures chez Lavaur : Raisons élémentaires, Réflexions pour la nuit, Récrire le temps, Risquer la lumière, Référence la terre, Rechant et mémoire ou les mots exsangues, Rumeur du vide, etc.

Vous avez vu : tous les titres commencent par la lettre R.

C’est un hommage du poète à René Guy Cadou, né en 1920 et mort en 1951. Et il se trouve que le poète de Louisfert, malgré la brièveté de sa carrière, fut un moment au centre de nos lectures.

Parallèlement aux années de 7 à dire, Claude a participé aux travaux de mes Cahiers de la rue Ventura. Ensuite, alors que le silence des revues l’a plongé dans une ombre éclairée de temps en temps par la sortie de quelques livres, voilà que Poésie sur Seine, Revue d’actualité poétique, dans son numéro de septembre 2020, propose, en même temps qu’un hommage à Cadou, un autre à Claude Serreau.

Je n’en ai eu l’annonce qu’en avril 2021 dans le n° 182 de Florilège qui m’est arrivé récemment. Heureux je suis de voir que l ‘on se souvient des vieux routards de la poésie.

Dans la préface à l’anthologie de Claude publiée par Sac à Mots, Martine Morillon-Carreau nous dit : « Écrire, … tracer des signes, laisser des traces … qui fasse signe dans une lumière toujours-jamais à venir : telle est la tâche du poète. »

 

Aujourd’hui, j’ai choisi pour vous deux poèmes de Claude Serreau qui m’ont arrêté dans mes jours de lecture. C’est que j’y retrouvais les constats, les questions de ma vie. Qui ne s’en pose ? Claude, qui s’était reconnu dans les mots d’un frère en poésie, René Guy Cadou, a vieilli comme nous tous, alors que le poète de Louisfert nous a quittés à 31 ans.

 

Lessives du vieux temps

qui lavez les rideaux accrochée à ma porte

où j’aimais enfermer en un bouquet de ciel

les regrets oubliés une poignée d’amis.

Et l’on se retrouvait

je dis on mais je rêve

au creux d’anciennes poutres

attendant à passer

la mélopée secrète qui précède l’ennui

et claque devant elle

les volets du sommeil.

Quand par hasard dormant

on traversait la nuit

pour rechercher un fleuve au jour

 

qui n’était que la pluie.

 

Claude Serreau, Réflexion pour la nuit, Éd. Traces, 1969

 

Et le temps passe. Réflexions de deux écrivains, notées un jour de lectures sérieuses :

« Nous ne possédons rien sur terre. Nous sommes de passage. C’est tout ». (cité dans Août of Africa.) Et…

« La vie : un sable mouvant entre deux néants » (Pierre Reverdy)

Quant à Cadou, n’avait-il pas écrit :

« Je ne ferai jamais que quelques pas sur cette terre / Et dans cette grande journée / Je ne passerai pas pour un vieil habitué ».

 

Je vous laisse en compagnie de Claude Serreau…

 

Par le ciment où tout est pris

de nos paroles et de nos rêves

entre les rires et les cris

la vie fut brève

la vie fut brève

et longue aussi.

 

J’entends encore ce qui s’est dit

du temps et de l’eau qui passent

et les envols de mes amis

que la vie lasse

que la vie lasse

et déconstruit.

 

Par les nuages lents du large

et ces carrosses de filasse

où chaque espoir est le reflet

d’un ciel trop noir

d’un ciel trop noir

et satisfait

 

contre les vents nous traversant

les bruits du monde seront faits

des survivants de cet instant.

 

Claude Serreau, Recension, Éd. du Petit Véhicule, 2006

 

Prochainement, je vous parlerai de quelques romans, et des livres de poèmes qui sont tombés dans ma boîte, commandes faites par curiosité ou cadeaux d’amis. De nouvelles pages dans quelque temps. Mais…

Ne m’envoyez pas vos livres qui paraissent. (Cl. C.)

 

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