En vrac…

Publié le 5 Avril 2023

En vrac…

En vrac, oui ; pour faire attendre mon lecteur. Un peu plus tard, des Textes auxquels on tient. Mais là,  des poèmes sortis de ma vie, et qui m’ont suivi dans mon vagabondage en terre de poésie, vous savez : ces menus messages nés un jour de nos rêves et qu’on avait largués sans le souci de les suivre, de les soumettre aux jugements. Alors laissons-leur une petite vie. Ils frappent ce soir à votre porte…

Le premier, tenez, une vraie surprise…

Sur la Toile,  < poeme.à-lire.fr >   Je l’ai découvert là un jour, sur mon ordinateur… Pour moi, un pur bonheur.

Poèmes à lire

LE POÈME DE LA QUINZAINE 
Deux fois par mois, une sélection de grands poèmes pour (re)découvrir la poésie de langue française (ce n’est pas moi qui dis de cette petite prose qu’elle est « un grand poème ». Évidemment !)

 

D’Elle question… (Claude Cailleau) Narratif 1 (fragment)

Il y a de la pluie, toujours, dans les regards perdus. Des lointains, une voix qui appelle. C’est Elle. Je l’ai vue qui venait sur le revers trouble du jour. Elle. Qui venait, incertaine, qu’apaise un souvenir. Mais s’en va…

D’Elle question toujours. Ah la mémoire !

C’était en d’autres temps. On ne sait pas. On ne sait plus. Elle marche dans sa peau, tranquille. Vieille, vieille (à la main le panier de roses défleuries, mortes dans le matin). Ah le pas qui chemine ! Elle a vécu, longtemps. Longtemps, vieille, vieille. Veille encore dans la ville indifférente. Le bitume… Portait le bouquet de lilas par les rues, pour l’amitié qui passe. Qui a passé. Morte sans doute. Le temps… La ville indifférente, oui. Elle, ses pas la mènent au-dedans d’Elle-même. Autour de l’être qui interroge. Sait-on si le jour se souvient encore ?

D’Elle question toujours. Ah la mémoire !

Le lit du temps l’accueille. A-t-Elle encore de l’âme ? La ruelle est sombre. Les lampadaires ont fermé les yeux sur la tendresse de la nuit. Elle, son souvenir chante dans le désert de vivre. Elle boit les mots qui sortent de la plume et passent dans le vent. Et remontent les âges. L’orage plombe gris velours le ciel sur la maison.

Entre les doigts, le sable coule, coule, et l’hiver nous oublie. Que dire de ce chant qui venait dans le vent et la pluie brasillante sous le feu de l’orage ? Rien, non rien. Mais…

D’Elle encore. Oui, d’Elle. Ah la mémoire !

        Claude Cailleau  (poème paru dans la revue 7 à dire)

Le deuxième… rien à voir. C’est inspiré par une maison qui a disparu. La « vieille » aussi. Elle avait 45 ans de plus que moi. Musicienne, elle avait mis des notes sur mes poèmes. Une autre époque. Je suis encore vivant mais vieux, « archi-vieux », dirait Daudet, lequel est bien oublié aujourd’hui mais encore vivant grâce à l’école, dans ses Lettres de mon moulin. Et moi ? Vivrai-je aussi longtemps ?

Voilà ce souffle de:

Nostalgie

 

La pièce d’eau du vieux jardin,

 

A ras de terre, au ras de l’eau…

 

le nénuphar flottant y fait

 

un marchepied pour la grenouille.

Figés dans l’eau du souvenir

veillent les visages anciens,

le sourire des ans lointains.

La vieille marche, à la main le

panier de roses défleuries.

 

Dans le jardin où de vieux pas

laissent encore leurs empreintes,

la pièce d’eau pleure les jours,

rires éteints, larmes sans âge.

De ce temps-là rien n’est resté,

sinon ces vers sur le papier.

                 Claude CAILLEAU

Troisième et avant-dernier, un poème (Hé oui, il est en prose mais je prétends que c’est un poème) écrit un soir que j’apprenais le décès de Philippe Jaccottet.

Quelque temps auparavant, le cher homme m’avait autorisé à publier dans ma revue une des lettres qu’il avait adressées à mes élèves d’Ingrandes en 1991. Il était encore plus vieux que moi aujourd’hui, et dans un autre courrier, s’étonnait d’être arrivé jusque là. Moi aussi, à 87.

J’ai toujours cru que casser une vitre allait me porter malheur… Alors voici

 

Miroir brisé

 

À Ph. J.

à l’étoile discrète.

 

Le monde dans la vitre, est-ce vivre ou rêver ? Une ombre tangue aux flots navrés de la marée, marche – croit rêver – dans le chuintement doux des algues, regarde sur la mer le sang vif qui s’étale. Mémoire vide.

 

… Écoute, voit, comme à l’accoutumée, le vent courir dans la tombée des feuilles. Là-bas, tournant le dos à l’aventure, dans la fatigue du retour, souffle, souffle le vieux regagnant sa maison, interrogeant derrière la vitre de l’horloge le temps lointain du balancier. Passant d’une autre année.

 

… Se dit : c’est du passé. Autrefois ? Non, naguère ! Et de crier l’angoisse, et de crier l’envie, comme si d’appeler allait faire surgir encore la flamme qui veillait, brasillante, sur le mur de l’enfance, et rejaillir, lame tendue sur l’écran des ténèbres, le cri nocturne de la chouette.

 

… Se dit – un dernier coup de dés – se dit, pour que reparte l’aiguille remontant le temps comme un chemin, la vie tarie qu’on ne saurait plus lire, dans le soir éclairé des flashes de la guerre.

Coule, coule toujours le fleuve noir, hanté d’ombres fourbues. Tombe une pluie mauvaise, sanglotante à la vitre, avant qu’un vieux doigt gourd ne se pince au volet.

                                                                                                                                    Claude Cailleau

 

Quant au petit dernier… Qu’en dire ? Sorti un soir d’une journée éprouvante passée à tenter de parfaire mon livre Le Roman achevé.. Peut-être mon ami Gérard avait-il raison quand il disait de ma poésie qu’elle est métaphysique. « Je ne suis pas d’ici », que voulais-je dire là, moi qui ai choisi de passer ma vieillesse à cinq cents mètres de la maison où je suis né ? Je ne sais pas, mais laissez-moi vous dire que

 

Je ne suis pas d’ici…

 

  Je ne suis pas d’ici, je ne suis pas d’ailleurs. Espérant vainement apprivoiser la solitude, c’est l’ancestral visage en nous qui veille ou pleure, se projette dans l’heure, dialogue avec la nuit. Pendant ce temps, le vent habille la maison de pluie et de fureur. L’homme se fait une coupable quiétude à tisonner son feu, passager de l’ultime.

Les lampadaires éclairent l’angoisse des rues. Des ombres nous précèdent, qui vont où vont nos pas, pour que l'Éternité nous prenne dans son lit d’épines et de velours.

                                            

                                              Claude CAILLEAU 

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article