Deux lectures de Mon petit livre paru en janvier.

Publié le 10 Avril 2023

Deux lectures de Mon petit livre paru en janvier.

CREPUSCULES,  Claude CAILLEAU,  Éditions du petit Pavé, 2023

 

« Un homme qui vieillit est un homme plein d’images »… Faisant sienne cette citation de Philippe Jaccottet, Claude Cailleau, dans la conclusion de son avant-propos présentant ses CREPUSCULES, outre l’emploi du pluriel impliquant une sorte de cadre pour le matin et le soir d’une vie, établit ainsi le programme  de ce recueil publié par les éditions du Petit Pavé dans la collection Le Semainier que dirige Jean Hourlier.

Petit livre par la taille sans doute, mais d’importance puisqu’il donne à lire le dernier ouvrage que cet écrivain-enseignant a décidé de publier, après avoir consacré la majeure partie de son existence à une sorte de défense et illustration de la langue française grâce aux multiples formes de ses écrits, y compris un blog contemporain, des romans, dont un couronné par l’Académie française, essais, critiques, et ces Cahiers de la rue Ventura, revue dont il assura la direction, Claude Cailleau s’est résolu à mettre un point final à son écriture poétique. Mais, admirateur de Stéphane Mallarmé, il se lance le défi d’un Coup de dés en une longue phrase d’une trentaine de pages développant ce poème d’adieu datant de 2014 et qu’il vient de se résoudre à publier, tout en s’en justifiant par une quinzaine de notes explicatives, tandis que Jean-Marie Alfroy qui fut un des collaborateurs de la revue de Sablé sur Sarthe rédigea en 2015 une éclairante postface. Toutes les précautions ont été prises, et il serait superflu de dire que cette expérience est réussie, ce qui est parfaitement énoncé par Jean Hourlier sur la dernière page de couverture, lequel met en avant la sensualité de la phrase musicale en vers libres, l’émotion, la respiration  que suggèrent la disposition et la typographie, contribuant au frémissement de l’essentiel. Car, il faut bien l’admettre, grande est l’inquiétude existentielle perpétuellement sous-jacente dans l’œuvre de l’auteur qui cherche à se rassurer par-delà la solitude de l’enfant privé de son père prisonnier de guerre,   et à travers son essai de se construire un cadre de vie au contact d’une nature si proche dans cette vallée sarthoise. Sans se livrer à une tiède psychanalyse de salon,  constater que Claude Cailleau délivre un ultime message qui n’a rien de testamentaire au moment d’atteindre à la sérénité du grand âge, c’est aussi reconnaître son droit d’affirmer qu’il en a fini avec la Poésie : « Poète vieux rêveur berné / le front levé vers la lumière //… alors qu’une enfance s’agite / encore / dans les abîmes de l’Image ».

Ainsi peut se clore un parcours par un pertinent hommage aux muses, qu’elles l’aient inspiré lui comme Mallarmé, Reverdy et tous ceux avec qui il correspondit, prouvant par ce texte de haute tenue qu’un Coup de Dés n’abolira jamais le talent !

Claude Serreau

 

Crépuscules, Claude Cailleau, Éditions du Petit Pavé,  février 2023

 

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CRÉPUSCULES

de CLAUDE CAILLEAU

 

 

« Un coup de dés jamais n’abolira le hasard » écrivit Mallarmé deux ans avant sa mort en 1897, composant l’un des premiers poèmes typographiques en langue française. Le choix de recourir à des variations typographiques concernant la police, la taille, l’emploi de l’italique, les majuscules ainsi que les espacements entre mots, leur emplacement sur la page, alignés à gauche, à droite ou au milieu, ces « blancs », comme il l’écrit dans son Observation relative au poème Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, crée  « comme un silence autour », en même temps qu’une polyphonie dont Mallarmé reconnaît qu’il l’emprunte à la Musique. Comme son Maître, mais aussi du Maître du poème dont le navire fait naufrage et qui s’apprête à lancer les dés en ultime défi au Ciel déserté, Claude Cailleau marche dans les traces de celui dont il est  le disciple, présentant dans ses Crépuscules un travail d’épuration tel qu’on atteint la limite du mot entre être et non-être. Une étude comparative entre les deux poèmes pourrait faire l’objet d’une étude approfondie, ne fût-ce que la demande faite par les deux auteurs par rapport à l’avant-propos : Mallarmé préférant « qu’on ne lût pas cette note ou que parcourue, même on l’oubliât »,  alors que Claude Cailleau demande expressément au lecteur de « se laisser emporter par la phrase qui court de page en page jusqu’à la quarante-et-unième. Une unique phrase » avant d’en faire une deuxième lecture. Le  bien-fondé de cette demande est évident, lorsque l’auteur joint après la fin du poème sa version sans la mise en scène typographique. On n’y trouve plus les variations de rythme, la respiration lente ou accélérée du poème typographique, ni surtout ces silences qui sont une voix, des voix supplémentaires. Dans ce condensé de l’existence où, mis à part le blanc et le noir, le dernier réservé au fleuve qui devient un leitmotiv, les couleurs sont absentes : le crépuscule avec sa vieille solitude est là engendrant « une panique inexplicable lorsque l’être se pense ». Mais avant tout, c’est l’enfance qui ressurgit dans ces souvenirs véhiculés par « la mousse immaculée d’un nuage » mêlée à l’image des roseaux et des abîmes. L’enfant, ce je qui ne se dévoile que devenu poème, devient présent dans  la partie suivante Écrits en marge du poème :  l’enfant « pieds nus prisonnier de la guerre, l’enfant de personne. » La rencontre avec la mort quand le bébé était dans son cercueil. La découverte du Rien, de l’inexistence, quand sa tombe sera relevée. Et Elle, perdue, absente, mystère vivant sur lequel le Poète se tait.

.Contact : ÉDITIONS DU PETIT PAVÉ                 Irène CLARA

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