Entre nous… La poésie…

Publié le 8 Avril 2021

Entre nous… La poésie…

C’est pour répondre à une demande de Jacques Lardans,  poète inconnu dont je parlais dans une précédente page, que j’ai écrit ces propos désabusés sur la poésie. Il a pourtant publié le texte, en 1999. Mon retour à ce type d’écriture s’est fait lentement. Jusqu’à cette date, mes poèmes n’étaient parus qu’en revues. C’est Michel Cosem qui m’a accueilli le premier dans ses Encres Vives, et c’est avec lui que j’ai fini dans le 451ème. Il s’agissait bien d’un « parcours littéraire atypique ».

Étrange poète qui a pu rester silencieux pendant 27 années ! C’est pour m’expliquer que j’ai écrit en 1999 ces

 

Paroles Vieillies

 

     Toi qui toute ta vie auras cherché si ce que tu venais d’écrire pouvait s’appeler POÉSIE,

     toi qui auras douté sans cesse, scruté d’un œil perplexe ce que ta main venait de laisser échapper sur la feuille blanche maintenant souillée (car tu écris mal, d’une plume nerveuse, incontrôlable, ce qui avait le don d’irriter tes vieux professeurs grincheux),

     toi qui n’as cessé de lire ces lignes interrompues – par quel hasard ou quelle volonté bien informée ? Au nom de qui ? Au nom de quoi ? – sans arriver à résoudre l’énigme du poème,

     toi qui ne cherchais dans cette quête vaine qu’à gagner enfin une certitude qui t’eût débarrassé de tous tes complexes – écrire des poèmes, quelle activité ridicule ! Le poète, quel doux dingue, toujours à aligner des mots qui ne servent à rien ! Et toi, fou, qui tentes de l’imiter, prétentieux singe savant,  

     toi qui continues pourtant d’écrire, acharné à trouver ce qui sans doute ne peut l’être,

 

     toi qui as  écouté Cadou, feuilleté Éluard, contemplé Ponge, interrogé Char, entendu Aragon, sondé Reverdy, pris un bain d’exotisme avec Saint-John Perse, voyagé avec Cendras, déliré avec Desnos, suivi Jean-Claude Renard dans sa quête mystique, cheminé enfin avec beaucoup d’autres,

 

     Cadou, le sensible malgré lui, empêtré de sa croyance involontaire en Dieu (ou qui feignait), pas modeste, grincheux peut-être même, envieux des camarades mieux traités dans le monde des lettres, qui croyait en lui plus que dans les autres, qui sans doute n’aimait pas l’enfant quoi qu’il en dît, ayant «  choisi le corps en saignant », Cadou qui t’enveloppe dans les plis de son lyrisme forcené,

     Éluard, le revanchard du Rendez-vous allemand, le simple, le banal chantre de la vie quotidienne, de l’amour, des questions qu’on se pose à soi-même sans jamais y répondre, Éluard le maître d’une « poésie ininterrompue », le sincère aussi, qui avouait la stérilité parfois de la recherche poétique, ayant sondé jusqu’à « la pierre vide »,

     Ponge, que tu laisses ramasser les morceaux de sa cruche, sonore et vide, débris « navrants et dérisoires » (on n’en fera pas une histoire !...) Ponge que tu abandonnes, fouillant la terre en quête d’une racine d’œillet, Ponge dans l’instant croyant que sa « recherche pourra être appelée poésie »,

     Char, qui te fascinait, colosse aux pieds d’argile, acharné, te disait son ami, à glisser de l’obscur dans la lumière, mais qui disait si bien, sans musique, la vie et les hommes,

     Aragon, qui se demandait ce qu’il fût devenu sans Elsa et qui devint lui-même, Aragon qui célébrait, pour que l’on se souvînt, sa « France de lumière » et ceux qui avaient souffert la mort dans les camps allemands, Aragon le vieillard désabusé, masqué, serein, poète en son moulin, couché  pour le futur sous le vieil arbre, en haut la prairie, avec sa glaçante compagne,

     Reverdy (Ah, le vieux misanthrope prétentieux dans sa certitude d’avoir produit des chefs-d’œuvre !), égrenant ses mots en petites touches (fragments de décor mais toute une atmosphère) le projecteur braqué sur une ombre, un pan de mur, une haie, paysan de la ville avec sa veste de gros drap, le cache-col blanc, pour toi plus homme que poète, asocial et grincheux,

     Saint-John Perse, le prince enfant d’un monde sans horizons, que plus tard tu suivais dans les accordailles de l’eau, de la terre, du ciel et des arbres parlants, Saint-John Perse marchant sur les grèves de son enfance choyée,

     Jean-Claude Renard enfin, le mystique poète aux accents élégiaques, qui t’entraînait malgré toi dans sa quête de l’être, à la poursuite de l’obscure raison de vivre, Jean-Claude Renard le modeste, le silencieux, le tourmenté devant le Grand Mystère,

 

     Tous ceux-là et beaucoup d’autres, des vieux, reconnus, chenus,  arrivés aux frontières, et des plus jeunes, qui attendent encore un satisfecit – des modernes comme on dit (mais de quelle modernité ?), qui ont l’air de savoir, qui le croient puisqu’ils écrivent et ne craignent pas d’en parler, prétentieux brasseurs de vent,

     tous ceux-là, tu les as lus et relus ! Mais que sais-tu, au bout du compte, de la Poésie ? Toi qui prétends en écrire, dis, que sais-tu de la Poésie ?

                                                                                                          

                                                                                  Claude Cailleau, novembre 1999

(Avant de reprendre, après 27 ans de silence, les décevants chemins de la poésie, pour les abandonner définitivement 20 ans après ce retour à l’Écriture.)

Le poème que je vous propose maintenant est paru dans un ouvrage collectif : trois poètes s’expliquent sur leurs habitudes d’écriture dans Les Cocrouillés (Éditions du Petit Pavé) en juillet 2004). Réunis en juillet dans les jardins de la Maison d’édition, nous lisions nos textes devant un public chaleureux. C’est mon passé d’enfant qui revivait dans ce

Il neige ce soir sur les toits de la ville. Il neige des flocons de silence. Le gamin qui sommeille en moi et voudrait bien revivre  -  le vieux gamin des temps de guerre et de misère  -  retrouve, enfoui au plus profond de sa mémoire, le souvenir des noëls d’autrefois. Toi, l’enfant, tu souris. La neige emprisonne les maisons dans une gangue de mystère. C’est tout juste si tu reconnais ton double dans la vitre tapissée par la nuit. La neige est devenue si rare ces dernières années, elle s’est fait attendre si longtemps, malgré le froid, malgré la bise qui entraient en toi et te glaçaient le cœur, elle a tant tardé à venir, tant tardé, que tu te demandes si ce n’est pas dans une autre vie que tu l’as vue la dernière fois. Une vie avant ta vie. Il a neigé dans ta mémoire. Tu marchais dans le silence du jour éteint. Tout semblait mort. C’était une autre fois. Avant ta naissance, peut-être. Mais tu te souviens, toi, l’enfant. Je sais que tu te souviens…

Claude Cailleau

 

Voilà. Mais est-ce encore de la poésie ? Je ne sais pas. En revanche, lisant ce texte devant des publics différents, j’ai pu constater qu’il gagne à être lu à haute voix. Essayez devant vos proches, en y mettant l’émotion dont je l’ai chargé : vous me direz… Je compte sur vous. (Cl. C.)

Entre nous… La poésie…

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