Dire la poésie

Publié le 22 Avril 2021

Dire la poésie

Désolé, si l’on m’accuse de prétention : j’aime lire mes textes à haute voix. J’acceptais toujours quand on me le proposait. On m’a souvent offert un public et je ne m’en suis pas plaint.

Oui, ce que vous allez lire, c’est un texte qui me suit depuis que Laurent Bourdelas, qui avait organisé une semaine de la poésie à Port-Louis, et, connaissant mes liens avec cette ville de bord de mer, m’avait invité à venir dire des textes au Jardin de la Muse, un soir au  mois d’août, alors que la nuit commençait à tomber. Une petite foule sympathique était venue dans la paix du Jardin, des port-louisiens, et des vacanciers, le terrain de camping étant à deux pas.  Tous assis dans l’herbe des pelouses, aucun siège n’ayant été prévu. Le silence s’était fait et j’avais commencé ma lecture quand je vis arriver un groupe de gamins, sans adultes accompagnateur. Et c’était étrange, cette scène ; il y avait là une grande paix ; les enfants, étonnés par cet homme qui lisait et que tout le monde écoutait, se glissait entre les auditeurs, essayant de trouver un petit coin pour s’asseoir. Je m’étais dit qu’ils allaient bientôt repartir, peu intéressés par ces poèmes qui avaient été écrits pour des adultes. Eh bien non ! J’ai marqué un temps d’arrêt, de silence, pour leur permettre de s’éclipser discrètement ; mais ils n’ont pas bougé, jusqu’à la fin, je pense – je ne me rappelle plus. Un moment d’émotion, quand Jean-Marie G. est venu me dire : « Vous êtes un créateur d’atmosphère. Les gens vous écoutent. » Ne croyez pas à de la vantardise ; c’est seulement pour dire le plaisir du poète qui sent comme un courant passer de lui aux auditeurs présents.

Le texte que je vous propose, à la fois narratif et descriptif, évoque les liens qui peuvent se tisser entre un homme et un lieu. J’étais heureux de le lire dans la ville dont je parlais. Voici donc…

 

Retour au Port-Louis

(Confidence, hors-confinement)

 

Sur la digue le soir, des silhouettes tanguent comme autrefois dans mon souvenir. Le vent venu avec le flux lève l’odeur du goémon épaissi de ténèbres.

C’était dans les années soixante. Ils habitaient une petite maison blanche, tout au bout de la digue, face aux colères de l’hiver. Les soirs de tempête, les murs et les toits enveloppés d’embruns luisaient sinistrement ; et l’on aurait juré que, dans l’ombre fluide, la mer franchissait le rempart des maisons.

C’était dans les années soixante. Des épaves achevaient de pourrir dans l’anse du Driasker, dressant comme par défi leurs os de bois rongés par le sel et les ans. Et l’on voyait le soir le défilé des vieilles venant, cortège en marche subreptice, vider leur pot de chambre dans la vague silencieuse. La vague qui léchait la digue, traversée de brillances glauques.

C’était dans les années soixante. Mon ombre marche encore dans l’épaisseur noyée des algues, faisant craquer parfois les capsulets chauds de soleil. Vers la pointe du Kerzo, le castelet factice m’intriguait. Je m’arrêtais devant sa façade trompeuse, troublé de ne savoir quelles ombres avaient laissé là leur souvenir, quels fantômes la nuit venaient hanter ces ruines, forcer les haies d’épines entre les pins muets comme des vigies de l’improbable.

C’était dans les années soixante. Je rentrais par le cimetière. Je me glissais entre les marbres, discret pour ne pas troubler le muet dialogue des morts et de la mer. Arrêté parfois devant une tombe vide : souvenir de quelque marin noyé dans la vague du temps, prisonnier de la mer, éternellement. Ailleurs. Loin. Oublié de vous, et là, tout près, sur la plaque, son nom, la mauvaise conscience du temps dépassé.

C’était dans les années soixante. J’écrivais des romans. Mes personnages errent encore sur la plage, sur les Pâtis. Ils reviennent vers Locmalo le soir, longeant la mer par le Lohic, jeunes Bretons nés de mon rêve et qui ne vieilliront jamais. Leurs noms chantent toujours dans ma tête, Stef, Nine, Yves, Patrick, Nicole, ignorés de vous tous mais vivants. Quelque part. Ailleurs. Tout près peut-être. Au milieu de vous qui me lisez ce soir. Je les vois. J’entends leurs rires, leurs colères. Leur insatisfaction, arrêtés pour toujours devant cet avenir qui leur est refusé.

C’était dans les années soixante. Mais je reviens encore, de temps en temps, au Port-Louis, mettre mes pas dans les pas d’autrefois, retrouver le rire des enfants sur la plage d’été, le vieux manège des Pâtis, la roue tournante des années. Retrouver la digue et ses fantômes assagis qui tanguent dans le soir, la mer enfin et son roulis baigné de solitude.

C’était dans les années soixante. Quarante  ans ont passé, la moitié d’une vie, et je ne sais trop qu’en penser.

Claude Cailleau, Port-Louis, été 2003

 

*******   

 

                   Et je ne résiste pas à cette envie que j’ai de vous proposer ce que j’appelle un texte d’émotion. Si par hasard vous tombez sur ce livre paru aux Éditions du Petit Pavé en 2009 (son tirage fut satisfaisant pour le modeste poète autobiographe que je suis), vous le trouverez vers la fin, dans la suite 16. Le titre du livre ? Le Roman achevé. Le thème ? La journée du poète, de 5h à 20h. Quand vous aurez lu ce poème, relisez-le à voix haute, pour sentir une musique s’ajouter au message. Voilà…

 

Je t’écris de la mer

 

 

          Je t’écris de la mer. C’est au Port-Louis. Tu te rappelles ? … Le vent, la poussière des embruns, les galets encore chauds de nos mots lancés contre l’oubli. La mer tout près, qui monte à l’assaut des rochers.

Tu poussais du pied (le soir nous environne, le bateau de Groix sillonne la rade) les pierres de l’année dernière. Les mêmes. Je les reconnais à leur bruit de sanglot usé.

Oh, nous avions marché. Marché, pieds nus sur les arêtes des rochers, sur les patelles pétrifiées.

          Et regardé. Regardé les vieux marins sur la jetée, rescapés de combien de naufrages.

Nous étions revenus. Au Port-Louis. Pour le souvenir. Et voir… Revoir

la Bretagne reposer dans sa peau de légende.

          Oh, j’avais encore à dire mais le livre s’achève.

Je voulais écrire pour d’autres que moi (toutes ces voix qui meurent de se taire) chaque fois dans le soir, penchés sur la fontaine ruisselante de mots – le source dérisoire – pour étancher leur soif de revivre.

          Je t’écris de la mer.

Devant mes yeux, l’île de Groix s’éloigne, comme un vaisseau de haut bord en quête d’aventure. En bas, la rue se ferme, ruisselante d’embruns.

          J’appelle encore le temps d’écrire,

appuyé à la nuit, le journal de la vie qui s’écoule, si lente à compter les secondes, et que la main cherche à saisir en arabesques sur la page. Je parlais, échappant au bruit des vagues qui lavent les galets du passé.

          C’était dans les années soixante, tu te rappelles… les vieux marins, figés comme des bollards sur le quai, les yeux lointains, qui regardaient pensifs le sang du soleil s’étaler sur la mer.

Ailleurs, le sang des hommes coulait, violent, sur le sable avide, dans le désert insatiable où pleuraient, où mouraient les enfants et les femmes.

           Et j’étais là,

qui écrivais sur le jour paisible de mon pays !

           Je suis là, je suis las.

Les années ont passé, suivies d’autres années.

Avec le temps, va, tout s’en va…

Je t’écris de la mer pour que tu te souviennes.

 

             Claude CAILLEAU ( « Le Roman achevé », Éd. du Petit Pavé)

 

Et Charles Juliet avait écrit, fort justement : « Ce qui est en jeu dans l’écriture demeure à l’abri de l’éloge et de la critique, des reproches, voire du blâme. »

Dire la poésie

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