Dans les pas de Stéphane Mallarmé,

Publié le 19 Octobre 2022

Dans les pas de Stéphane Mallarmé,

pour saluer le poète,

dans le souvenir de Jean-Marie Alfroy.

Une publication prochaine.

C’est ainsi. Vous allez retrouver aujourd’hui l’ami qui, pendant de longues années, a suivi et salué mes publications. Sans bienveillance certes, mais avec une franchise irréprochable. Son honnêteté intellectuelle faisait de lui un ami sur qui on pouvait compter. Je vous l’ai dit, il a écrit trois romans, quelques recueils de poèmes composés dans une logique indiscutable. Mais c’est du critique que j’aimerais qu’on se souvînt. D’une grande rigueur et d’une culture impressionnante, il pouvait créer en musique, en poésie et en peinture. Donc parler des créations de ses confrères dans ces trois domaines. Dans les Cahiers de la rue Ventura,  son talent d’historien de l’art était reconnu et apprécié. Je suis fier d’avoir été un moment au centre de ses recherches. Qu’il en soit remercié.

En 2015 ou 2016, quand j’ai travaillé à la rédaction de ce livre qui devrait paraître prochainement, c’est à lui que j’ai offert la première lecture de l’ensemble et c’est tout naturellement que son texte a trouvé place dans l’ouvrage sous forme d’une postface que quelques-uns ont trouvée remarquable. La voici, avant que Crépuscules ne paraisse. Elle montre le soin avec lequel J-M Alfroy s’est penché sur ce que j’appelle un délire. Jean-Marie, bien sûr, y a vu autre chose. Ce n’est pas pour rien qu’aventureusement j’ai voulu associer Crépuscules au Coup de dés de Mallarmé.  Je vous laisse avec Jean-Marie…

 

De la rue de Rome à la rue Ventura.

Ne jouons pas les exégètes : le « Coup de dés » de Claude Cailleau n’a nul besoin d’éclairages superflus puisque, dans une sollicitude à l’égard de ses lecteurs qui l’honore, l’auteur a pris la peine courtoise de proposer trois clefs, par ordre de simplicité croissant, ainsi que des proses marginales baignées d’une lumière bienveillante.

Cependant, on aura tort de céder à la tentation de s’appuyer sur ces béquilles avant d’oser aller à la rencontre de l’essentiel, cette longue phrase morcelée, disloquée mais structurée, qui s’étend sur plusieurs pages et utilise différentes tailles et formes de caractères. C’est là que tout se passe.

Cela fait longtemps que j’ai fait l’hypothèse que Claude Cailleau était un disciple de Mallarmé. Déjà, lorsqu’il a fait paraître en 2009 aux éditions du GRIL ses Mots du jour et de la nuit, j’ai reconnu ce souci résolument mallarméen d’ajuster une syntaxe très savamment calculée à une métrique régulière et donc contraignante. Ce défi technique rappelle sans aucun doute certaines pièces comme A la nue accablante tu ou Quelle soie au baume de temps.

Aujourd’hui, c’est à un autre Mallarmé que Claude Cailleau se rattache, le dernier, celui d’Un coup de dés, qui a semblé, à l’époque de sa première parution en revue, en rupture radicale avec tout ce que le poète avait écrit jusqu’alors. Bien des commentateurs y ont vu par la suite le premier manifeste de la poésie moderne. Aussi ne suis-je pas étonné de la parenthèse dans laquelle Claude Cailleau fait allusion aux Mardis de la rue de Rome, quand le vieux Maître « brûlait au feu du Poème » : il est évident qu’ils sont deux à brûler, le maître et son émule, et que la rue Ventura où ce dernier réside se confond – tout espace et toute durée étant abolis - avec la rue parisienne.

Dans la note 6, l’auteur est plus direct : « Je suis là, un demi- siècle avant de naître, recueillant la parole du Maître». Quel orgueil, quelle prétention, diront certains. Ne s’agirait-il pas plutôt d’humilité, de gratitude en reconnaissant sa dette ? Et si ce que, faute de trouver un terme plus adéquat, on nomme « esprit » survit à la mort corporelle, pourquoi ne préexisterait- il pas à la naissance ? Nous voilà chez Platon.

Mais ce qui fait la spécificité de Claude Cailleau, c’est son obstination thématique : toujours revenir à l’enfance, à la solitude pendant la période de la guerre 39-45, à ces instants de communion avec les éléments ou certains lieux (la calme Sarthe sur laquelle il va pêcher aux côtés du père retrouvé, Port-Louis qui mérite pour le coup le qualificatif de « port d’attache »). Cette nostalgie obsessionnelle pourrait lasser. Il n’en est rien, car le poète, contrairement à beaucoup de ses confrères qui se contentent de ressasser les mêmes formules, sait prendre tous les risques en variant les techniques d’écriture et, par voie de conséquence, les esthétiques. Rappelons-nous les tercets " haïkisants" de Quelques instants, la prose libérée (écriture automatique ?) de Un jour, ou bien une nuit, les strophes régulières et rimées de Mots du jour et de la nuit.


Si Claude Cailleau a un maître revendiqué, Mallarmé, il en a un autre, ignoré : l’artiste japonais Hokusai, dans ses « Trente- six vues du mont Fuji». Le vieux maître de l’estampe reproduit invariablement la pyramide parfaite du volcan sacré, mais la couleur n’est jamais la même, ni surtout le point de vue. Au premier plan, nous ne voyons jamais la même chose : cabanes de paysans, pêcheur en équilibre sur un rocher, pavillon dans lequel des dames prennent le thé, voyageurs traversant une rivière sur une passerelle.

Le mont Fuji de Claude Cailleau, c’est son enfance, qu’il ne cesse de revisiter par l’écriture tout en changeant constamment d’angle de vue. Malgré cette multiplicité des points de vue, le mystère demeure : en quoi le passé - cette « énigme jamais élucidée » écrit-il - désormais lointain, explique-t-il un présent créatif mais menacé ? Remonte-t-on nécessairement aux sources véritables, ou bien passe-t-on à côté d’origines plus obscures mais plus fondatrices? Ou bien cherche-t-on à contourner des abîmes où l’on a failli se perdre ? Poète de l’air et l’eau (« la mousse immaculée d’un nuage », « l’image du fleuve coulée au bas de la prairie ») bien davantage que de la terre et du feu, Claude Cailleau résume sa vie dans un bouquet de mots qui s’éparpillent sur la page pour mieux se rassembler dans la voix silencieuse du lecteur.

Ce « Coup de dés » apparaît alors comme une dernière tentative de justification. Oui, cela valait la peine d’écrire, ne serait-ce que pour comprendre qu’on ne comprendra jamais rien à sa vie, à son destin. Nous en venons tous un jour à ce lieu de modestie où tous les ego se fondent dans la même conscience universelle.

Jean-Marie Alfroy (2015)

Je vous quitte en vous remerciant de l’attention que vous avez portée à cette page. Et je vous dis à bientôt, pour un nouveau texte dans les pas de Jean-Marie Alfroy

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