Pierre Reverdy - La solitude du poète

Publié le 5 Mars 2021

Pierre Reverdy - La solitude du poète

Pendant que je rédigeais cette biographie de Pierre Reverdy qui m’avait été commandée par un de mes éditeurs deux ans auparavant, pour rompre la servitude du moment, de temps en temps je griffonnais quelques vers, de petites proses sur des feuilles volantes que je glissais dans mes inédits. Toutes ces menuailles inspirées par le  poète. Quelquefois aussi je devenais celui que je tentais de faire revivre. Et de me lamenter comme il devait le faire, souvent, dans sa solitude, et de lui prêter ma voix. Ce n’est qu’en 2008 que j’entrepris de réunir ces textes que Michel Cosem accueillit dans le 360èmeEncres Vives (1) sous le titre La solitude du poète. À relire ce cahier, quand les 50 exemplaires m’arrivèrent, je m’aperçus, le relisant avec un regard étranger,  que pendant deux ans je n’avais plus été moi-même. Je m’étais enfermé dans l’univers d’un poète qui, finalement, n’était pas de mes préférés. D’où, dans ce cahier,  l’irruption de temps en temps d’une voix qui n’était que la mienne. N’importe, un ami ( ?) a eu la gentillesse d’écrire que ce cahier représentait pour lui un « Tombeau de Pierre Reverdy ». J’ai donc décidé de sélectionner pour vous quelques-uns de ces poèmes pour en finir avec un écrivain qui n’a pas réussi à entrer dans mon panthéon personnel.

(1) Claude Cailleau, La solitude du poète, 360ème Encres Vives, 6,10 € aux Éditions Encres Vives.

 

Où dormirai-je ce soir ? Dans quel monde désaffecté ? Solesmes s’enfonce dans la nuit. Rue du Rôle, Il était un phare, derrière les volets clos – la vieille toujours à les fermer.

Et pendant ce temps-là, le fleuve déroulait son ruban de ciel gris. Et route de Beaucé, les notables dormaient d’un sommeil repu – bonne conscience et mépris cousus. Des ombres faméliques erraient au pied de l’Abbaye.

Où dormirai-je ce soir, dans un temps qui m’est refusé ? Reverdy égrenait ses mots de tous les jours, banalement triés. Moulus aux meules de la nuit. Poèmes, dites-vous ? Et moi qui m’étonnais…

Des ombres dans le cloître, capuchon rabattu, arpentaient le carreau, cernées de silence. Où dormirai-je ce soir, dans ce temps qui n’est plus le mien ?

 

Témoin

Les maisons ont des dos

de laine noire dans l’hiver.

Une ombre traverse

la nuit des lampadaires,

furtive, comme absente.

S’éloigne dans le temps.

Les murs sont nus.

Dans le brouillard des rues,

quelque chose survit

à la fuite des heures.

 

Reverdy toujours. Solesmes noyé dans la grisaille d’un souvenir.

 Tu as pris ce soir la parole, comme on prend un cierge dans le silence d’une église et la pénombre propice aux confidences murmurées.

L’homme au gros paletot s’arrête, ancré dans la nuit. Tu écoutes sa voix de silence.

Elle s’est tue depuis longtemps, mais la silhouette demeure dans les pages de ta mémoire. On pourrait la toucher, n’était son temps quelque part perdu.

Une horloge continue de scander les secondes d’un jour qui n’est pas celui du Poète

 Et le silence tombe comme une fin de monde sur Solesmes en Sarthe.

 

Instant

Une route s’éloigne

que personne ne suit.

L’aube naît et s’enfonce

dans le vide des heures.

Le ciel est couleur

de vin de sable suri.

Un couple de corbeaux

agresse le silence.

Quelque chose s’en va,

décroché de ma vie.

Une cloche lointaine

appelle à la prière.

Dans la vallée, le coq

ennuagé salue

les oiseaux de passage.

Un matin de printemps.

 

Le chant des morts

Rue du Rôle, les lampadaires

n’éclairent plus que le silence.

Chaque soir, une étoile brille,

pâle, au-dessus du cimetière.

Un homme un jour est passé là.

Son ombre marche dans l’absence,

accompagnant le temps qui passe.

Rue du Rôle où la vie s’efface,

une voix revient de la mort,

jetant son angoisse au silence.

 

Il y a cette vie couchée à l’ombre de l’Abbaye, la dalle nue dans le cimetière où le nom même meurt sous le froid de novembre, les deux corps allongés que le temps et la mort ont unis, en attente de voix qui diront le poème, très loin dans le futur.

Et dans la maison désertée, fermée sur les mots tus, l’on n’entend plus le pas résonner, ni la voix, qui roulait ses cailloux de soleil dans la salle. Maison déshabillée des êtres, abandonnée, qui se replie sur le passé.

Comment faire pour que ces temps lointains reviennent ?

 

Tombeau de Reverdy

La nuit est venue, discrète ;

il y a du gris dans le temps,

un goût de cendre dans la voix

qui réveille une adresse perdue.

Le gisant dans la tombe oublié

au fond du cimetière se lamente.

Son nom même s’efface

de la mémoire des vivants

et le temps passe sur la pierre.

Qui sait demain ce que Tu fus

dans le regard qui se posait ?

Deux cyprès baignent d’ombre douce

la croix de marbre couchée du gisant.

Un homme passait là

qui ne s’arrête pas. Le jour

est fait d’heures à oublier.

 

Reverdy encore. Debout dans ma mémoire… Goutte à goutte les mots, comme des notes d’oiseaux sur les fils électriques. Et la nuit pour suaire…

A-t-il vraiment cru en Dieu, le vieil homme qui franchissait la haie, habillé de velours et de solitude ? A-t-il enfin crié, pour que quelqu’un entende qui ne fût pas Dieu, sa voix brisée, tordue, terrassée, muette ?

J’étais là. J’étais là ! Quelque part. Non loin. Il pouvait m’appeler, moi qu’il ne connaissait pas. Solesmes est à deux pas, où s’enténèbre peu à peu son souvenir.

Attendait-il un soir les mots de l’amitié, comme moi, derrière le silence, les pas d’un inconnu pour nier sa détresse, égrenant dans la nuit ses vers, gouttes d’angoisse, grelots de diligence dans une autre vie -  et regardant sa mort déjà dans la fenêtre ?

Moi je suis toujours là, mais comment retrouver le message perdu ?

Ces poèmes et textelets ont été choisis le 5 mars 2021 pour figurer sur ce blog en clôture de mon hommage à Pierre Reverdy. En 2006, peu après la sortie de mon livre (2), j’étais intervenu dans un lycée de Sablé pour parler, à une soixantaine d’élèves de seconde, d’un poète qui avait passé la moitié de sa vie à Solesmes et qui était un inconnu pour la plupart des habitants du village ! Les lycéens avaient 15 ou 16 ans quand je leur ai proposé sur des feuilles quatre-vingt poèmes de Reverdy. Dociles, ils ont lu, choisi un poème et se sont assis. Les plumes ont couru sur le papier, sans contraintes. Ils n’étaient pas obligés de signer, mais ils ont tous mis leur nom au bas de leur feuille. Je ne donnerai ici que leurs prénoms.

Ce qui se dessine peu à peu dans ces fragments de témoignages, c’est la personnalité d’un poète perçue à travers son œuvre, mais aussi le cheminement de la poésie chez des lecteurs adolescents. Un homme parle par-delà la mort. Des filles et garçons l‘écoutent, l’entendent, pour qui la route est encore longue. Voilà …

« P. Reverdy semble obsédé par le temps qui passe, la mort qui nous attend, quels que soient les chemins que nous empruntons. Persuadés qu’elle aura le dernier mot, nous vivons pourtant comme si cela devait durer toujours. Le poète serait-il celui qui avertit ? » (Edwige)

« Je sens chez le poète un manque. Il est comme pauvre de quelque chose qu’il n’a pas encore trouvé. Il semble qu’il veuille montrer qu’il existe et en même temps qu’il ait peur d’affronter le monde. » (Fanny)

« Ce que je trouve essentiel dans la poésie, c’est ce flot de sentiments qui défie tout raisonnement logique » (Élodie)

« Le poète parle-t-il de la mort ou seulement de la solitude ? Des images, des images qui s’enchaînent. un film, un poème glacial. » (Marie)

«  Il a peur d’être reconnu. Dans sa maison, il entend la pendule. Dans la rue, il voit passer la vie. Et c’est tout ! »  (Pierre)

« Le poète me touche.On sent qu’il ne va pas bien. Que tout ce qu’il, aime l’ennuie, l’éloigne… mais de quoi ? Pour lui la vie a un goût amer. » (Cyrielle)

« Impression de déjà vécu, d’insatisfaction, de nostalgie… comme si ces poèmes avaient été écrits pour (nous), Et la solitude, l’incapacité, dirait-on, à trouver sa place dans le monde. (Marine et Barbara)

« Ce poète sait-il qui il est ? » (Loïc)

« Les autres, quelle importance ? Tu finiras seul. Ferme les yeux : tu verras mieux. Et ne t’inquiète pas : tu n’es pas immortel. (Cynthia)

«  Sur À double tour, dans le Chant des morts : Combien faut-il lire ce poème pour y entrer ? Il ne me parle pas. Il est froid. Je ne veux pas y entrer. Je préfère fuir. Il parle de la mort et moi je vis ! C’est une maison vide où j’ai fait tomber mon ballon. Jamais je n’oserai y entrer. Je vais grandir. Alors seulement je récupérerai mon ballon. » (Océane)

« Le poète rôde, dans un souffle d’écriture, sur une page de nos lectures. » (Thomas)

« Je ne suis nulle part, dit le poète. Ce vers peint bien ce qui m’arrive. Je pense à mon pays qui est en guerre et que j’ai quitté. Mes origine coulent dans mon sang. La guerre en mon pays a ouvert une blessure en moi. » (Lauriane)

Quand le professeur de ces élèves a demandé en fin d’année quelle activité culturelle ils ont préféré, il ont répondu, à une grande majorité, La séance Pierre Reverdy. Je termine sur ces mots. Quelques compléments dans la prochaine page…

Claude Cailleau, Sablé, 5 février 2021

Claude Cailleau, Dans les pas de Pierre Reverdy, Éditions du Petit Pavé, 18 € chez l’éditeur.

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