Pierres tombales, mémoire de l’homme.

Publié le 17 Février 2021

Pierres tombales, mémoire de l’homme.

Et de l’écrivain : les livres aussi sont des tombes.

 

En 1986, Henri Troyat me disait qu’il ne croyait guère à la survie de son œuvre ; l’homme que j’avais en face de moi se souciait-il de ce qu’il deviendrait après sa mort ? Je n’en ai rien su ; il  a rejoint sa femme, morte avant lui, au cimetière du  Montparnasse.

À Cuverville, André Gide repose sous une simple dalle de béton sur laquelle – c’était sa volonté -  on ne lit que son prénom, son nom et les dates extrêmes de sa vie : 1869-1951. Sa femme, dans la tombe voisine, a droit à plus d’égards, avec, même, une phrase tirée de la Bible :

« Heureux ceux qui procurent la paix car ils seront appelés enfants de Dieu. Heureux dès à présent ceux qui meurent dans le seigneur ». Madeleine Rondeaux était très pieuse.

À Varennes-sur-Amance, Marcel Arland se cache derrière un demi-anonymat : « Famille Arland » peut-on lire sur la plaque verticale de la tombe. C’est tout !

« Presque chaque jour, pour moi, fut un dimanche : peines et plaisirs mêlés … et sans fin l’attente. Mais qu’attendre aujourd’hui ? La maison, je n’ose la regarder. Je ne peux la juger. Quant au repos, je ne l’ai jamais connu. Que reste-t-il ? Nous verrons bien. », écrivait Marcel Arland dans Proche du silence (page 91). Il reste vos livres, Marcel. Vous étiez trop modeste. Souhaitons qu’un jour les hommes se souviennent que vous avez existé. Et écrit, pour vous dire. Toute votre œuvre est autobiographique. Plus ou moins, je sais.

Quant à Georges Perros (qui avait choisi de ne pas signer ses textes de son patronyme), il ne vit pas son éternité dans la tombe sous son nom d’écrivain ; ce nom-là, on ne le trouve que sur  ses livres. Il repose dans le cimetière du haut, à Tréboul, sous les cailloux entourés de granit moussu, en compagnie de Tania. Qui sait encore que derrière Georges Poulot se cache un écrivain ? L’homme trouvait-il son nom trop laid ? Ou voulait-il se cacher pour un repos éternel ?

« … ainsi / Passe en mon corps cette vie-ci / J’attends l’autre avec patience // On me dit qu’elle vaut de l’or / Si j’en mérite le trésor / Mais chi lo sa ? Mort est silence. » (Georges Perros, « Poèmes bleus », 1962)

Et, pour clore un petit poème évoquant les poissons et la mouette, que disait-il encore ? « La mer est toujours à boire. / Le ciel à prendre d’assaut. / Mais si vous voulez m’en croire / Restons-en là. Ken avo » ( G. Perros, J’habite près de mon silence, Éd Finitude, 2006)

Ainsi parlait le poète. Et, comme pour lui donner raison, «  Je vous assure qu’il faudrait signer ce que l’on écrit de son vrai nom et vivre sous un pseudonyme dans la réalité », écrivait Pierre Reverdy dans En vrac.

Pas étonnant de la part d’un homme qui, dans le même livre, avouait : « Je n’arrive pas à trouver le rapport entre ce que je suis et ce que j’écris ». Moi, en fouillant bien, je crois – je crois… - l’avoir trouvé. Quand on connaît les secrets de sa vie, on ne s’étonne pas, malgré les confidences qu’il égrène discrètement dans ses poèmes, qu’il distingue chez lui l’homme de l’écrivain. La tombe de Reverdy, à Solesmes, porte bien son nom, en lettres redorées en 2006 grâce à moi, j’en suis fier, un peu. Je dis pourquoi à qui me le demande. On trouvera aussi l’explication dans ma biographie du poète parue en 2006. (1)

À Bonneuil-Matours (c’est quelque part dans la France profonde), vous trouverez la tombe d’un poète qui, bien qu’il eût émigré dans la région parisienne, gardait un attachement aux terres de son enfance. J’aime bien ce poète qui écrivit un moment aux frontières de l’École de Rochefort.

« Maison, ô ma maison bucolique de roses,

Tes briques de rubis et tes longs ciels mouillés,

Nous avons tant rêvé sous tes métamorphoses,

Sous la pluie, sous les cris des girouettes rouillées. »

Il avait préparé sa modeste survie de poète en préparant une épitaphe qui fut gravée sur sa tombe (avec une énorme faute au deuxième vers – a-t-elle été corrigée depuis notre passage dans la ville ?) Serein, Maurice Fombeure écrivait : « Il portait sur sa lourde épaule / Sa destinée comme un oiseau / Maintenant il dort sous les saules / En écoutant le bruit des eaux. »

J’aurais beaucoup à raconter sur les tombes d’écrivains. Je l’ai déjà dit, j’aime les cimetières : on peut, tranquille, y parler avec les ombres des poètes.

Des romanciers aussi. On trouve parfois plus de choses à dire sur leurs tombes que sur leurs livres. Il en est ainsi pour moi d’Albert Camus.

Dans un entretien publié par l’Obs en septembre 2017, Charles Giol nous dit qu’il a cru voir sur le visage de la fille de l’écrivain « le bonheur de faire vivre des textes qui donnent aux gens du courage et de l’espoir. » J’espère que ce n’est que ça, car elle avait une bonne bouille, la jeune Catherine, à 12 ans, photographiée près de son père lors de vacances en Grèce en 1958. On voyait entre eux une sympathique entente. À l’intervieweur, elle dit qu’elle occupe ses journées à servir l’œuvre de Camus. Nous sommes passés par Lourmarin où elle habite, dans la maison qu’il avait achetée au pied du Luberon. Passés là pour une visite à l’écrivain, au cimetière. L’état dans lequel nous avons trouvé la tombe nous a horrifiés. L’image de l’abandon, d’une noire solitude. C’est à peine si l’on peut lire le nom de l’homme qui repose là, sous la dalle. Il m’a fallu écarter l’envahissante végétation pour que ma photo puisse témoigner de la présence de Camus, sous la pierre rongée par le temps. Cet abandon aux caprices feuillus de la nature, était-ce la volonté de l’auteur, exprimée à un âge où il ne pensait pas mourir aussi tôt ?

Non loin, d’ailleurs, Henri Bosco n’est pas mieux traité ; il faut faire effort pour trouver sa tombe. L’oubli menace aussi l’auteur de L’Enfant et la rivière, qui, comme Camus, avait sa maison à Lourmarin. Sans doute n’a-t-il plus de famille dans la ville. Nous n’avons pu trouver la bastide qu’aucune pancarte ne signale. Un peu pressés ce jour-là, nous avons abandonné. Nous y reviendrons un jour.

« Chaque année, nous arrivions à Peïrouré pour la rentrée des classes. Les vignes rouges couvraient encore la campagne. Mais vers le 15 octobre la pluie descendait des collines… » Ces phrases, au début de L’Âne Culotte, chantent toujours dans ma tête. Je dis bien chantent, car je les entends, prononcées avec le bel accent des méridionaux. La langue de Bosco flirte toujours avec la poésie par la pureté de la syntaxe, l’emploi inattendu de certains mots. Vous vous êtes arrêtés, bien sûr, sur cette pluie qui « descend des collines ».

Notre professeur, qui nous conseillait de lire Le Mas Théotime, mais ne perdait pas de vue qu’il s’adressait à de futurs enseignants, nous recommandait, outre L’Âne Culotte, L’Enfant et la rivière et Le Renard dans l’île. Il nous raconta qu’Henri Bosco, las de dicter à ses élèves des textes sans suite, se mit à en composer, qu’il leur dicta pendant toute une année scolaire. Il y était question d’un âne qui portait une culotte. Les gamins apprécièrent tellement ces histoires qu’ils les recopièrent sur un cahier et qu’à la fin de l’année ils l’offrirent à leur professeur. Ce récit, sans doute étoffé par l’auteur, est devenu L’Âne Culotte.

Sans trop y croire, j’ai trouvé que l’histoire était belle. Mais plus que ce livre, c’est L’Enfant et la rivière qui m’enchanta, bien que lu tardivement. Les centres d’intérêt des jeunes ont beaucoup changé. Je les imagine arrêtés par le lexique, la syntaxe très littéraire, et ces beaux passés simples qui plongent le lecteur dans une autre époque, celle des contes. Les noms de Pascalet, Gatzo, Bargabot me restent en mémoire comme ceux des héros de Gide ou de Martin du Gard. Pour le lecteur averti, l’émerveillement d’une histoire toute simple qui vous fait retrouver le sens d’un vie naturelle, s’accompagne du plaisir plus délicat de la langue, ici d’une grande pureté. L’atmosphère dans L’Enfant et la rivière tient de la magie. On est à la fois dans une réalité bien concrète, des plus accueillantes, et dans un monde merveilleux où le mystère accompagne le moindre geste du héros. Bosco est aussi un fin peintre de la nature ; plantes et animaux y coexistent dans une sérénité qui éclaire la vie.

 Claude Cailleau, février 2021

 

C’est religieusement que l’on visite un cimetière. Perros se cache derrière son patronyme ; Henri Troyat n’a gardé que son nom d’écrivain. Anonymat voulu ou non, Jean-René Huguenin à Saint-Cloud et Marcel Arland à Varennes-sur-Amance, ne sont présents que derrière le nom de leur famille ; le premier, mort à 26 ans dans un accident de voiture n’avait sans doute pas pensé à son devenir dans la mémoire des hommes ; enfant douloureux, homme tourmenté, Marcel Arland m’a toujours semblé  fui par le bonheur – sa réussite littéraire ne l’a sans doute pas libéré. Avait-il pensé que les hommes l’oublieraient malgré la qualité de son œuvre ? Je l’ai toujours cru orgueilleusement modeste et admiré pour cette discrétion. Gide se souciait peu de son destin et avait demandé que seuls son nom et deux dates figurent sur sa pierre. « Ni la vieillesse, ni la maladie, ni le voisinage de la mort n’ont d’effet sur moi… Je ne rêve à aucune survie,  confiait-il à son ami Martin du Gard peu de temps avant de mourir. Bosco et Camus sont pour moi de pauvres « abandonnés du genre humain » sous la pierre grisâtre de leur tombe. Reverdy, dont la femme avait laissé, sur sa tombe, le temps effacer ses nom et prénom, était poursuivi dans la mort par ce destin étrange qui l’avait fait naître sans patronyme. Julien Gracq enfin, qui avait pris soin de séparer en lui deux êtres - l’homme et l’écrivain – aimerait-il que sur sa tombe l’on ait gravé ses deux noms, Louis Poirier et Julien Gracq ? Et qui eût cru que reposer sous une pierre anonyme, c’était comme y graver son nom ? Le plus orgueilleux de ces hommes choisis pour un destin exceptionnel, c’est sans doute celui que je considère comme le plus grand, doté de l’immense pouvoir que donne l’écriture quand elle est portée à une qualité extrême, vous avez deviné. Il était inutile de graver quoi que ce soit sur cette tombe – oui, celle que j’ai voulu glisser ci-dessous : les hommes sauraient, arrêtés devant sa pierre sur l’îlot du grand Bé, qui gisait là, devant les flots.  Et (je l’ai lu quelque part, je ne sais plus où) n’avait-il pas demandé, orgueil suprême,  qu’on l’enterrât debout, face à la mer ?

 Cl. C. – février 2021  

Pierres tombales, mémoire de l’homme.

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