Pierre Reverdy post mortem

Publié le 12 Février 2021

Il y a 16 ans, je corrigeais les épreuves d’un livre qui allait paraître au printemps : Dans les pas de Pierre Reverdy. L’œuvre du poète était tellement bien verrouillée que personne ne s’était risqué à écrire une biographie. Quand j’avais accepté cette commande, je ne savais pas que j’allais perdre deux années de ma vie pour l’honorer. Reverdy n’était pas au centre de mes lectures. Tout le monde l’avait oublié. En fouillant un peu, je m’aperçus que l’homme était certes responsable de cette situation. Orgueil ? Humilité ? J’opterais bien pour la première hypothèse. Peut-être l’œuvre est-elle aussi un peu responsable, donc le poète… Aux deux extrémités d’une chaîne de lecteurs, ce n’est ni Maurice Carême, ni Yves Bonnefoy.

Le poète nous demande un gros effort et le lecteur n’est pas toujours prêt à sacrifier l’instant. Beaucoup d’éléments, et de gens, sont venus contribuer au silence dans lequel s’est noyé le poète. « Les mots se sont perdus tout le long du chemin / Il n’y a plus rien à dire / Le vent est arrivé / Le monde se retire / L’autre côté ». (P. R.)

À Saint-Florent-le-Vieil, la maison de Julien Gracq est devenue un pôle culturel ; on y reçoit des écrivains en résidence, on y organise des manifestations, on guide le visiteur. À Solesmes, Rien ! Rien ! La maison déjà du vivant de Reverdy avait l’aspect d’une forteresse. Bon ! Notre homme n’était pas très sociable ; Madame non plus, j’ai expérimenté. Il ne reste plus sur le mur que la fameuse plaque avec l’erreur que je signalais dans un texte il y a quelque temps. C’est au bout de la rue du Rôle à Solesmes que vous pourrez voir

 

La maison assassinée

 

   Journal – 2003 ou 2004 (texte gardé sur des feuilles volantes et paru dans deux ou trois revues, je ne me rappelle plus).

   

Il y a un an, mon éditeur me dit : « Vous qui habitez près de Solesmes, vous m’écririez bien un « Dans les pas de Reverdy »… Il venait de me prendre le manuscrit de mon roman « La Croix d’or ». Comment refuser ?

    Je me suis mis en campagne. Reverdy, sa femme m’avait claqué la porte au nez dans les années 50, quand, ayant sonné au petit portail, j’avais demandé à le voir. Pas facile, Henriette ! A l’image de Pierre, son époux pour le meilleur, et le pire. Je n’avais pas insisté, moi qui me suis souvent glissé dans la vie des écrivains dont j’aimais les livres. C’est aujourd’hui que je le regrette.

    Il reste bien peu de témoins de la vie de Reverdy à Solesmes. Celui qui fut son facteur  -  mais il a peu à dire  -  et un général, qui fut son voisin pendant des décennies. Eux ne m’ont pas beaucoup appris sur le poète, un peu plus sur la maison.

    Quand Reverdy s’est installé à Solesmes, il a acheté  -  avec les deniers de Coco Chanel, ai-je lu quelque part  -  une grande maison au milieu de la rue du Rôle, belle bâtisse bourgeoise, flanquée d’un jardin au fond duquel s’élevait une annexe assez vaste, l’ancien atelier d’un menuisier du début du siècle.

    Pendant la guerre, les Allemands s’étant installés dans sa demeure sans son autorisation, Reverdy la vendit sans attendre et fit aménager le bâtiment au fond du jardin. Son premier souci fut d’obturer toutes les ouvertures donnant sur la rue et le petit chemin qui le longe à l’arrière. Ne survécut au massacre qu’une étroite fenêtre à l’étage, ouverte dans le pignon, éclairant la pièce au plafond bas où écrivait le poète.

    Reverdy, qui ne s’est jamais mêlé à la vie du village, vivait là comme en exil, ne quittant Solesmes que pour de brefs séjours à Paris  -  périodes pendant lesquelles il laissait Henriette au logis, laquelle, en attendant, continuait de faire ses dévotions malgré les railleries de son mari (lui, qui était venu à Solesmes chercher Dieu, n’avait trouvé là que des hommes et une religion, disait-il).

    Défigurée une première fois de par la volonté de son propriétaire de se couper du monde, presque complètement privée de vue, ne s’ouvrant que sur le jardin, la maison ne ressemblait guère, de la rue, à une habitation. Ses murs aveugles tentaient fort les gamins, lesquels, en passant, grattaient le crépi rugueux avec un bâton, pour le plaisir de voir surgir un bonhomme furibond  -  le poète en personne  -  qui les menaçait des pires sévices.

    La pauvre maison survécut donc et s’installa dans la durée. Fermée au monde, elle reçut cependant quelques visites  -  poètes, moines amis, journalistes en recherche de matière pour leurs articles  -  le tout-venant filtré sans doute par l’inflexible Henriette, qui savait, dit-on, se faire discrète quand le visiteur était de marque.

    Reverdy mourut en 1960 et sa femme lui survécut pendant des décennies. Elle est décédée, en 1996, âgée de 104 ans. La vieille dame avait voulu rester chez elle jusqu’à la fin. De là sans doute le drame dans lequel a sombré le logis du poète. Les dernières années, la maison de retraite toute proche envoyait un employé prodiguer à Madame Reverdy les soins de la vie quotidienne et lui faisait porter des repas. Vous savez ce que c’est : on rend service, on se montre charitable, et un jour on reçoit la maison en héritage.

    Déjà, ceux de Paris et de Saint-Paul-de-Vence avaient emporté tout ce qui était précieux. Leur butin repose dans le fonds Doucet ou à la Fondation Maeght. Et pour le logis de l’écrivain, pillé, déshumanisé, dépoétisé, la catastrophe est arrivée récemment, dont la bâtisse ne se relèvera pas. Beaucoup, à Solesmes, à Sablé, auraient aimé en faire un musée Reverdy. On aurait pu y rapatrier les tableaux des cubistes amis du poète, ses manuscrits, les livres compagnons de sa vie. Les visiteurs seraient entrés pour humer le vent de poésie contenue qui avait soufflé là pendant 34 ans.

    Hélas, meurtrie par le poète, pillée ensuite, la maison vient d’être assassinée. Il n’y aura jamais de musée Reverdy à Solesmes. La bâtisse restaurée a retrouvé des ouvertures sur la rue et le chemin. L’intérieur en a été complètement redessiné. Peut-être va-t-elle devenir une annexe de la Maison de Retraite. Ne restait, quand je l’ai visitée, que le grand escalier droit qui mène à l’étage. On avait même fait tomber les plafonds de la pièce où le poète écrivait.

    Peut-être, à cette heure, l’escalier lui-même a-t-il été emporté par un dernier vent destructeur. Je me suis empressé de photographier le pignon, où s’ouvre, à l’étage, la fenêtre de vieux bois habillée de volets dont la peinture s’écaille. Je suis sûr que ces volets, la main de Reverdy les a fermés, ouverts plus d’une fois. (C’est là, derrière, qu’il écrivait). Et il me plaît de penser qu’un enquêteur de police obstiné y retrouverait l’empreinte digitale du poète, qui serait restée gravée dans le temps, derrière trace de son passage en ce monde.

Entraînée dans le naufrage de la maison assassinée, la fenêtre va sans doute disparaître à son tour. Déjà, du jardin, qu’envahissaient les herbes folles, du vieux  mur  qui  longeait  la  rue  et  du  portillon où s’arrêtait le facteur (jamais, m’a-t-il dit, il ne fut invité à entrer pour boire le verre de l’amitié)  il ne reste plus rien. Un lourd bâtiment moderne est venu se planter là, comme pour effacer toute trace du passage de celui qui avait apporté tant de nouveauté dans la poésie du 20ème siècle.

    La maison ne se souvient déjà plus du poète. Bientôt c’est sa pierre tombale qui, dans le petit cimetière, s’enfoncera à son tour dans l’anonymat, où l’inscription s’efface (*) comme pour nous rappeler que, sur cette terre, rien n’est immuable, que nous ne possédons pas même le droit au souvenir.

Le 23 juin 1960, Aragon écrivait dans les Lettres françaises un hommage au poète qui venait de mourir : « Il est mort pendant que le monde pensait à autre chose. Mort et enterré avant qu’on n’ait rien su, là-bas, à Solesmes couleur de l’oubli. Pierre Reverdy est mort, et ce n’est pas que la poésie frappée à la tête, c’est nous qui le sommes au cœur… Un soleil noir s’est couché à Solesmes… »

                                                                     

Claude Cailleau

 

(*) L’inscription sur la tombe s’effaçait ; n’était lisible que celle concernant Henriette. C’est à moi que le visiteur venu saluer la mémoire du poète doit de pouvoir lire le nom de Pierre et ses dates  de naissance et de mort. Je dirai un jour pourquoi.

 

 

Paru en mars 2006 aux Editions du Petit Pavé :

« Dans les pas de Pierre Reverdy », essai biographique de Claude Cailleau, suivi de quelques « lectures » de Reverdy.

 

 

Hommage à Pierre REVERDY

 

 

Solesmes

 

Rue du Rôle, les lampadaires

n’éclairent plus que le silence.

Chaque soir, une étoile brille,

pâle, au-dessus du cimetière.

Un homme un jour est passé là.

L’escalier craque-t-il encore ?

Une ombre marche dans l’absence,

accompagnant le temps qui passe.

Rue du Rôle où la vie s’efface,

une voix surgit du silence,

paisible, aux portes de la mort.

 

 

La maison

 

La maison basse aux murs épais

censure le danger qui passe.

Quelqu’un a crié dans la rue.

Personne n’a voulu entendre.

Dans la petite chambre aux livres,

le poète parle à la nuit.

A la fenêtre où l’ombre veille,

la vitre ne protège plus.

Les aléas d’ailleurs  surgissent,

et la peur au-dedans de soi.

Un arbre frotte la gouttière

en un bruit d’eau léger. La pluie

est tombée. Etait-ce un hasard,

ce regard dans la vitre obscure ?

L’heure se vide, et le vent passe

sur les mots du dernier poème.

 

       Claude CAILLEAU

 

La petite maison ci-dessous a été dessinée par Catherine Cailleau et reproduite page 127 de mon livre.

Pierre Reverdy post mortem

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