Juillet 2010 - PIERRE REVERDY

Publié le 3 Février 2021

Juillet 2010 - PIERRE REVERDY,

ou quand la poésie dialogue avec la peinture.

 

 

Pierre Reverdy est mort il y a 60 ans. En 2010, une réédition chez Flammarion et une exposition à Sablé-sur-Sarthe (de ses livres d’artiste en particulier) n’ont fait revivre que momentanément une œuvre tombée peu à peu dans l’oubli. Le directeur de la revue Ici & là,  membre comme moi d’une association éditrice qui publie des livres illustrés, m’avait demandé un texte pour une présence du poète dans un de ses numéros. Je lui proposai cet article, court pour respecter les exigences de la revue. Voici donc peinture et poésie qui dialoguent. Pour notre plaisir cent ans après, puisque Reverdy faisait imprimer ses premiers livres à partir de 1915.

 

Le jeune homme qui arrive à Paris en octobre 1910, pour « faire de la littérature » (1), ne sait pas qu’il va très vite devenir l’ami de Max Jacob, Picasso, Braque, Apollinaire, Matisse, Léger, Derain, Modigliani, etc.  Plus de peintres que de poètes. (« Il parlait peinture comme nous… Il nous faisait découvrir nos propres secrets » écrira Braque.)

On ne s’étonnera pas que, dans sa revue Nord-Sud, ce soit Reverdy qui ait signé les deux articles sur le cubisme ; quant aux « Pensées et réflexions sur la peinture » de Braque, qui paraissent dans le n° 10… le curieux qui va aux sources consulter les documents (2) constate que ces textes sont écrits de la main de Reverdy, ce qui prouve qu’il y eut au moins concertation entre les deux hommes.

Dans chacun de ses livres, le poète invitera un peintre, pour une illustration ou un portrait. Engagé comme il l’était dans la vie culturelle de Montmartre, il était inévitable que Reverdy subisse l’influence du cubisme.

De sa poésie des années 1910, certains ont dit qu’elle était cubiste. C’est aller un peu vite, même si Jean-Michel Maulpoix écrivait en 1989 dans la Quinzaine littéraire : « Le lecteur est frappé par les aspects géométriques de l’espace reverdyen. Les poèmes … fragmentent des paysages mentaux … l’âme de Reverdy est cubiste. Elle géométrise son angoisse. »

Dans le n° 1 de Nord-Sud, Reverdy avait écrit que « le cubisme est un art de création et non de reproduction ou d’interprétation ». Que dire de son poème, qui s’ancre bien dans le réel, mais suivant une orchestration maîtrisée, le poète refusant la description aussi bien que l’anecdote ?

Ce qui frappe dans les vers de la première période, c’est la simplicité de la syntaxe : des phrases courtes, construites sur le même schéma, se succèdent, comme isolées, mais amenées par une nécessité interne. Au bout du parcours, une atmosphère souvent inquiétante, un malaise. On devine que le poète regarde, écoute. Il est là et il n’y est pas. Le monde vit en dehors de lui, mais l’image qu’il en donne passe à travers lui. (3) Mystère de la création poétique. Et, de même que le peintre, pour construire son tableau, prend des éléments du quotidien (dont il recueille les formes simples), les assemble, pris sous des angles différents (ce qui évacue toute idée de perspective), de même Reverdy place les composantes de son poème dans la page, utilisant l’espace à la manière d’un peintre. La disposition typographique rend la ponctuation inutile (le poète ne la garde que pour la prose) ; et sa définition de l’image est proche de la conception du tableau cubiste, lequel dégage les rapports que les choses ont entre elles.

Reverdy poète cubiste ? Lui-même récuse cette affirmation : « Ce sont les poètes qui ont créé un art non descriptif, ensuite les peintres en créèrent un non imitatif ». (4)

Relisons « Soleil » (5), par exemple…

       

       Quelqu’un vient de partir

Dans la chambre

                     Il reste un soupir

La vie déserte

 

        La rue

               Et la fenêtre ouverte

Un rayon de soleil

Sur la pelouse verte

 

A chacun de juger. La lecture de la poésie est affaire de sensibilité.

Si dans les vers de l’époque parisienne le « je » est rare, un aveu échappe, de temps en temps : « Je reste contre la porte /…/ Moi j’oublierai même mon nom »

Mais c’est à Solesmes, à partir de 1926, que le poète, en quête d’une identité qui le fuit et d’un Dieu qui ne lui répond pas, s’achemine peu à peu vers un lyrisme  presque classique.

Ainsi dans Ferraille, en 1937 : «… Sa foi est un buisson d’épines / Ses yeux ont perdu la lumière / Il est perdu dans l’univers / Il se heurte contre les villes / Contre lui-même et ses travers… » Ces confidences vont se multiplier dans Le Chant des morts : « Il n’y aura jamais plus de monde / Au détour pour nous voir mourir » ; et : « Il reste peu de chose à prendre / Dans un homme qui va mourir ». Jusqu’au souhait poignant, à la fin de Sable mouvant : « Je prie le ciel / Que nul ne me regarde / si ce n’est au travers d’un verre d’illusion ». On est loin des tournures impersonnelles des débuts, des formes en apparence détachées, parfois énigmatiques, et de l’habillage pictural de la page (la disposition en créneaux, par exemple, dans Le Voleur de Talan).

Evolution, certes. Mais le dialogue avec les peintres s’est poursuivi jusqu’à la mort, concrétisé par ces « livres à deux mains » que sont Au Soleil du plafond (avec Gris), Le Chant des morts (avec Picasso), La Liberté des mers (avec Braque). Livres dans lesquels le  texte est manuscrit. On devine que pour le poète la graphie était déjà œuvre d’artiste. La sienne accompagne bien la simplicité banale du lexique et de la syntaxe – ce qui met toujours en défaut les commentateurs de ses œuvres, qui poussent parfois leurs interprétations jusqu’au ridicule.

A propos du Chant des morts, en 1948, Tériade, l’éditeur, dira des deux artistes : « C’est comme s’ils se parlaient entre eux ». Selon moi, le plus cubiste des trois livres, est sans conteste Au Soleil du plafond, conçu en 1917  (interrompu par une brouille entre les deux artistes, et la mort de Gris en 1927) et qui ne paraît qu’en 1955. Juan Gris, le représentant le plus pur du cubisme, plaçait Reverdy au premier rang des poètes qui avaient « le plus de connexions avec la peinture ».

« Dans un « livre à deux mains », images et mots se font écho en gardant leur identité propre. » (5) C’est bien ce que voulait Reverdy. Dans Au Soleil du plafond, les deux artistes ont gardé leur autonomie, mais textes et tableaux dialoguent – merveille de l’art qui fait que le réel devient autre, passé à travers le filtre d’une personnalité, chargé d’une émotion sans laquelle il n’y a pas de poésie.

Pour Reverdy, qui eût aimé devenir peintre, l’écriture, un moment, fut un moyen de se servir du réel pour traduire, sur la page-tableau, le tourment d’une âme traversée de questions sans réponses.

 

                                                                            Claude CAILLEAU, Sablé, juillet 2010,

(Relu et complété le 3 février 2021)

 

  1. Lettre à Jean Rousselot, 1951.

(2) Fonds Doucet, Paris

(3) Dans les pas de Pierre Reverdy, Cl. C., Editions du Petit Pavé

(4) Revue Nord-Sud,

(5) Natalie Percher, catalogue de l’exposition « Pierre Reverdy, L’œil et la main, un poète et des artistes »  (11 juin, 14 juillet 2010).

C’est la couverture de ce catalogue que j’ai photographié pour vous. Remarquable, ce petit guide d’une œuvre est sans doute encore en vente à la Médiathèque Pierre Reverdy de Sablé-Sur-Sarthe (10 €)

Sur la photo, on aperçoit le tapuscrit de « La maison assassinée » - ces pages, qui ont toujours un rapport avec Pierre Reverdy, patience : vous pourrez les lire prochainement.

 

Juillet 2010 - PIERRE REVERDY

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