4 – Lettre ouverte à un vieux poète

Publié le 9 Janvier 2021

(Je ne sais plus pourquoi il y avait un 4 en gras, au début. Je n’ai pas trouvé de feuillets 3, 2, 1. Mais j’ai laissé le 4 comme un signe et pour me permettre cette entrée en matière. Une lettre ouverte a un destinataire, mais c’est qu’on veut aussi qu’elle soit lue par beaucoup. Ce texte est paru il y a quelques années dans une revue, le bulletin d’information d’un éditeur. Il m’a semblé qu’il pourrait, non pas faire écho à la belle « leçon de poésie » que nous donnait quelqu’un que j’ai banni de mon horizon mais proposer en complément une conception de l’écriture poétique – la mienne, qui s’est affinée peu à peu, avec mes lectures et la rédaction de mes livres. Et je vois que certains vont se hâter de me critiquer, disant : mais pour qui se prend-il, poétereau de province ? Et ils auront raison. Qu’importe ? Voici donc ma

 

Lettre ouverte à un vieux poète

 

(et il était vieux, le bonhomme destinataire de cette mise au point, chenu, plus de quatre-vingt alors que moi, j’abordais tout juste la soixantaine, mais il commençait à m’énerver avec sa poésie de mirliton et ses airs de seigneur des lettres. Nous avons échangé plusieurs fois avant que le vieux ne rompe en faisant renvoyer ma lettre par le facteur avec la mention « N’habite pas à l’adresse indiquée. » Souci de ne pas aller plus loin. Il devait jubiler, pensant :Bien fait, mon vieux, tu t’es fatigué pour rien ! Mais, paraissant dans une revue beaucoup lue, ma première lettre avait été beaucoup lue.) Donc voilà :

La « vraie » poésie, cher Monsieur (« cher », c’était ironique : je ne l’aimais pas ce type), la « vraie » poésie, je ne sais pas ce que c’est. Et si j’enlève l’adjectif, dirai-je que je sais ce qu’est la poésie ?

Tous les poètes, à un moment de leur vie, se sont interrogés sur leur art. Je me rappelle la lettre d’un de mes amis qui venait de publier un recueil. « J’espère que c’est encore de la poésie », m’écrivait-il, inquiet de savoir ce que j’en pensais, car nous avions de bonnes relations.

Pour moi (cette opinion n’engage que moi, bien sûr) de même qu’il peut ne pas y avoir de poésie dans de beaux vers bien réguliers, rimés à l’ancienne, de même  la poésie peut venir se loger de façon inattendue dans un texte où les règles de la prosodie traditionnelle ont été transgressées.

Me paraît bien ambitieux celui qui prétend définir la poésie. On la sent, on ne l’explique pas. Les formes les plus classiques, je les connais, certes : j’enseignais les lettres en collège. Mes élèves et moi, nous lisions Ronsard, Lamartine, Baudelaire, Verlaine. Et beaucoup d’autres. J’ai toujours aimé cette poésie aux formes fixes. Adolescent, j’ai déjà dû vous le dire, j’avais appris par cœur Le tombeau d’Edgar Poe de Mallarmé. L’homme et la mer de Baudelaire. Je les disais à haute voix, pour le plaisir d’entendre résonner, derrière les mots, une musique qui me berçait. Le Lac de Lamartine a accompagné mes années de bac. Ainsi que « La Maison du berger », « La Mort du  loup » de Vigny. Et Musset (Ah ! Les Nuits !)

En ce temps-là, j’écrivais des poèmes classiques que je publiais dans les revues de l’époque, mais très tôt j’ai abandonné ces formes que je trouvais contraignantes et qui donnaient à ma poésie  -  je le vois bien maintenant - les défauts que je retrouve chez ceux que Cadou appelait les poètes du dimanche, attachés à leur dictionnaire de rimes.

Ces défauts ? La prolixité, d’abord (et je ne saurais dire pourquoi un poème classique me paraît toujours en souffrir) alors que Georges Jean, le vieux maître de mon adolescence, me disait : « Ecris, mais densément. Ecris, mais parcimonieusement ». Et me conseillait la concision. Je l’ai écouté – j’ai essayé, plutôt -  et je m’en félicite. Il y avait aussi dans mes vers, de temps en temps, des chevilles, pour la rime ou pour le rythme. J’en étais conscient mais je ne voyais pas encore comment y remédier. Comment gommer l’aspect artificiel de cette façon de dire.

Imaginez que quelqu’un dans la rue vous dise : «  Regardez, Le ciel est par-dessus le toit si bleu, si calme, au lieu de dire : Il fait beau aujourd’hui, c’est bien agréable. Comparez : on voit très bien ici l’aspect maniéré du texte poétique.

Je ne nie pas le talent de ceux qui ont écrit sonnets, ballades et autres stances. Mais j’ai choisi. J’ai choisi le naturel, en pensant que la poésie est faite pour être dite. Si dans une conversation vous prononcez tous les e muets qu’on entendrait dans le texte poétique, votre interlocuteur va vous regarder avec une petite lueur de raillerie dans les yeux. Je ne parle pas des diérèses, qui accentuent encore l’aspect artificiel du discours.

Quand j’écris un poème, c’est souvent l’octosyllabe et l’alexandrin qui viennent sous ma plume. Une vieille habitude. Mais je ne les traque pas. J’accepte le vers impair qui rompt le rythme, ou plutôt en crée un autre, attirant l’attention sur un fragment du texte. Je l’accepte comme il me vient, quitte à le torturer un peu plus tard. J’ignore volontiers le e muet. Pour le naturel. Parce que j’aime dire mes poèmes à haute voix, dans les salons, les classes où j’intervenais pour parler aux enfants de poésie. Parfois, dans ma diction, un vers de neuf syllabes redevient un octosyllabe par l’élision volontaire d’un e qui aurait dû se prononcer dans le poème classique.

L’émotion, dont vous faites, cher Monsieur, la source même de la poésie n’est pas pour moi essentielle, quoiqu’il arrive qu’elle surgisse à l’improviste dans mes vers. « La poésie, dit Michel Cosem, c’est un regard qui permet de connaître, de faire partager, d’inventorier la richesse du monde. » Cette richesse n’est pas seulement d’ordre sentimental. Je pense que le poète creuse au plus profond de l’Enigme pour donner un sens à ce qui l’entoure. Que la poésie est un moyen de communiquer avec l’invisible, qui parfois est en soi, parfois dans l’autre, dans l’arbre, le caillou du chemin. J’avais écrit cela en réponse à une enquête menée par une revue sur l’écriture de la poésie. Laquelle enquête est sortie sous le titre Vous avez dit Poésie ?

Lorsque j’écris un poème, au diable les contraintes. Ce n’est qu’après que le travail commence. Le texte reste sur l’établi des semaines, parfois des mois. Je pratique par ajouts plutôt qu’en retranchant, pour arriver au plus près de ce que je voulais dire. Mes amis, d’ailleurs, s’étonnent quand ils lisent un de mes poèmes en prose et que je leur dis : « Ce texte a d’abord été écrit  en vers. » C’est tout simplement que je l’ai mis en prose pour qu’il glisse mieux, pour lui ôter son aspect rigide, artificiel. Et j’ai même  -  horreur !  -  cassé le rythme, pour éviter la monotonie. Inversement, le poème intitulé Le Roman achevé est l’aboutissement d’un travail de trois ans sur ce qui fut au départ un texte en prose de 16 pages. (Entre parenthèses, certains d’entre vous, familiers de mon travail de tâcheron, vont penser que je radote – que voulez-vous, c’est l’âge – pour justifier la présence de cette page dans le blog, je dirai que j’ai voulu lui donner une audience plus importante, gagner quelques lecteurs intéressés par le travail poétique.)

Un de mes amis, admirateur de Mallarmé et de Paul Valéry, qui écrivait de beaux alexandrins rimés, s’est mis au vers libre après bien des hésitations, sans doute parce qu’il est difficile de trouver un éditeur pour la poésie classique. Je m’étais amusé de sa question : « Je n’écris pas de vers libres parce que je ne sais pas quand je dois aller à la ligne. Toi, quand sais-tu que tu dois arrêter ton vers ? » J’avais été bien en peine de lui répondre.

Je pense à Pierre Reverdy qui, au début du 20ème siècle, préoccupé par l’aspect de la page, en poésie, a transformé l’inesthétique poème en vers libres qui emplit la partie gauche de la feuille et présente à droite l’aspect de dents de scie d’inégales longueurs.  La réflexion aboutit chez lui à une disposition en chicanes ou en créneaux ; ainsi le poème est d’abord fait pour être vu  -  à l’égal d’un tableau  -  avant d’être lu. Reverdy a même utilisé cette technique pour un livre, Le voleur de Talan, avec l’indication Roman. Il abandonna vite cette écriture mais vous ne me direz pas, cher Monsieur, que ce poète-là n’avait pas réfléchi à son art.

Et, si vous lisez Reverdy, vous savez que, fragmentés en plusieurs vers, se cachent parfois de superbes alexandrins. Et des images. N’est-ce pas là aussi qu’il faut voir la poésie, dans l’image ? (Autant que dans une forme imposée, rigide comme celle du sonnet, par exemple).

Une phrase de votre texte m’inquiète un peu : « Commence par imiter les maîtres anciens. » Pour la peinture ou la sculpture, je veux bien. Mais pour la poésie ?… Si j’ai lu les poètes   - et je continue de les lire quotidiennement  -  je me suis toujours méfié des influences. Je pense qu’on n’a rien à gagner à imiter un poète, fût-il le plus grand, le meilleur. Car disparaît du texte la personnalité de son auteur. Je n’écris pas comme Untel. J’écris comme moi. Nous sommes tous uniques. C’est cette unicité qui est notre richesse. A se modeler sur quelqu’un, on risque de perdre son originalité, ce quelque chose qui fait qu’on peut être intéressant pour les autres.

Quant à votre ironique question de la fin (Etes-vous sûr d’écrire pour l’éternité ?), elle me fait sourire. Moi, j’écris pour ne pas mourir. Provisoirement. J’écris pour oublier que je mourrai comme tout le monde. Et que le terme approche, puisque j’ai vieilli.

« Lis-moi et tu me feras revivre » : c’est mon souhait pour plus tard, quand je ne serai plus là, et qu’un lecteur, un enfant peut-être (j’aimerais bien, lui plus qu’un adulte parce qu’il aura de longues années devant lui) qu’un enfant sortira un de mes livres de la bibliothèque de ses parents. Et curieux : « Tiens, c’est qui, ce type-là ? » Pour un moment, je viendrai habiter sa vie. Quand il lira mon message, je serai un peu plus qu’un livre perdu au milieu d’autres.

Hélas, personne n’écrit pour l’éternité, le support de nos élucubrations  -  le papier, une camelote -  étant destiné à tomber en poussière dans une cinquantaine d’années, me dit-on. Et vous n’ignorez pas que l’existence de notre terre aura une limite, qu’un jour elle s’abîmera dans l’espace, à moins qu’elle n’explose ou ne se fige sous les glaces. Ce qui rendrait dérisoires nos efforts pour laisser une trace de notre passage chez les hommes. N’y pensons pas trop. Ecrire nous sauve.

A vous la main, bien sûr, si vous souhaitez répondre, je reste à votre écoute.

Recevez, cher Monsieur, mes amitiés. Que la poésie continue de vous aider à vivre.

                                                    

Sablé le 7 décembre 2005, Claude Cailleau 

 

Et voilà, je m’étais fait un ennemi de plus en réfutant ses arguments. On me dit que j’ai parfois la dent dure. C’est sans doute vrai. Mais cette attitude correspond à ce que j’attends de mes amis quand je leur demande de me donner leur avis sur un de mes livres. J’avais aimé le jugement de Bernadette Throo, sur mon récit Et je marche près d’Elle. Au temps de ma revue, elle m’avait envoyé deux poèmes écrits de sa main, n’ayant ni ordinateur ni même une moyenâgeuse machine à écrire. Comme je l’aimais bien, cette modeste vieille dame, je saisissais ses poèmes sur mon ordinateur avant de les soumettre au Comité de ma revue. Acceptés, ils repartaient vers elle sous formes d’épreuves. Le classique procédé d’autrefois. Et cela me rappelle la réaction de Serge Wellens dont je garde précieusement les belles lettres manuscrites. Quand je lui disais : « Vous n’avez pas d’ordinateur ? Il me répondait : « Pourquoi un ordinateur ? Je n’ai même pas de carte bancaire. » Le pauvre, s’il vivait encore, serait bien obligé de l’adopter cette petite carte magique qui vous permet de payer sans sortir d’argent. En ce moment, mon fournisseur de papier et cartouches d’encre nous prévient à l’entrée de sa boutique qu’il n’accepte plus ni chèques, ni billets, seulement la petite carte (qui vous permet de payer sans contact, on n’arrête pas le progrès !)

Mais je m’aperçois que je me suis égaré, bavard de circonstance, moi que l’on dit taciturne. Je reviens donc à cette charmante vieille dame, agrégée de lettres classiques – Respect, Madame – que j’estimais pour sa franchise. J’ai aimé son jugement sur mon petit récit : « J’ai lu votre bouquin, et je n’ai rien compris ». Amusé, je lui ai répondu : « C’est normal, mais relisez, et vous me direz. » Dans sa deuxième lettre, la critique fut plus nuancée : « J’ai relu et je crois que j’ai compris ». Sans commentaire !

Avant de terminer, une photo parue dans ma revue Les Cahiers de la rue Ventura – l’encre de Jacques Basse vous propose le symbole de la Poésie. À regarder longtemps pour s’imprégner du message. J’aime ce regard d’un art sur un autre. Jacques Basse est à la fois peintre et poète.

Claude Cailleau, janvier 2021

 

Et je vous promets un prochain cycle Reverdy, poète à redécouvrir. Et bien sûr, la fin de mon travail sur le grand Mallarmé.

4 – Lettre ouverte à un vieux poète

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article