Jean Joubert – Journal et n° 4 des Cahiers de la rue Ventura.

Publié le 12 Janvier 2021

Jean Joubert – Journal et n° 4 des Cahiers de la rue Ventura.

Le 28 novembre 2015, Jean Joubert s’est éclipsé avec une telle discrétion que  beaucoup de ses lecteurs n’eurent pas connaissance de sa mort. Le silence s’installe vite et couvre l’œuvre d’un voile d’oubli. Jean Joubert le savait, qui se battait, à sa façon, pour que ses livres rencontrent leurs lecteurs. Je l’ai connu présent dans les établissements scolaires, les salons, les lieux de lecture.

Pendant plus de vingt ans, j’ai beaucoup échangé avec cet homme affable qui ne se dérobait jamais à une invitation et qui a toujours répondu aux sollicitations de mes élèves.

Quand j’ai créé les Cahiers de la rue Ventura (pour rendre hommage à mes écrivains), il m’a paru normal, bien qu’il fût encore vivant, de lui consacrer un dossier. Vous le retrouverez dans le n° 4 des Cahiers de la rue Ventura auquel ont collaboré Jean Chatard, Gérard Cléry, Michel Cosem, Jean-Paul Giraux, Georges Jean, Béatrice Libert, Jacques Lovichi, Jean-Pierre Thuillat, Jean-Max Tixier.

Aujourd’hui, l’hommage que je veux lui rendre sera nourri de deux textes extraits du Cahier n° 4, mais aussi de fragments de notre correspondance qu’il m’envoyait de temps en temps pour marquer un événement qui nous touchait l’un et l’autre, ou un début d’année.

À partir de 1999, il a suivi mon modeste travail d’écrivain et me donnait régulièrement ses impressions à la lecture de mes livres. Puis la vie, le temps, ont fait que nos échanges se sont espacés. Je me préparais à reprendre contact quand la mort est venue me rappeler que nous ne sommes que des passants sur cette terre. Seuls maintenant les livres de Jean Joubert continueront de nous entraîner sur ses chemins d’ombre et de lumière.

Le dessin qui le représente est de Louis Hubert, l’illustrateur de ma revue Les Cahiers de la rue Ventura.

En compagnie de Jean Joubert…

Je n’entreprendrai pas de vous raconter sa vie. D’autres l’ont fait, mieux que je ne saurais le faire. Je voudrais plutôt évoquer la découverte progressive d’une œuvre qui a marqué mes jours et qui continue d’accompagner mon cheminement de lecteur. Le poète,  je pris rendez-vous avec lui (je veux dire avec son œuvre) dès 1959, en achetant ces Poèmes d’absence, qui venaient de paraître dans la collection jeune poésie NRF. J’avais manqué un premier rendez-vous avec, paru chez Seghers, le cahier Les Lignes de la main, un recueil qui fut très vite honoré du Prix Antonin Artaud.

Les Poèmes d’absence – « recueil devenu rare avec le temps, mais la poésie est à la fois dans le temps et hors du temps », écrit Jean Joubert en 1993 lorsque je lui présente le petit livre à la couverture blanche et bleue sur laquelle le titre a la couleur du sang – il suffit de lire la table des matières pour y découvrir une bonne partie des thèmes que le poète allait développer dans son œuvre poétique, avec au centre du livre cette Planète de la solitude où « rien ne nous désespère / Plus que l’exil aux portes du matin ». Et déjà cette quête de l’être en soi qui dicte les mots que la main recueille. Je ne fus pas étonné de le voir affirmer dans L’Ecole des lettres, à la fin des années 80 : « J’ai parfois le sentiment, de manière certes irrationnelle, que je n’ai pas vraiment choisi d’écrire tel livre, mais que c’est le livre qui a choisi de s’écrire en moi. »

Je n’ai jamais cessé (il ne le savait pas encore) de lire les poèmes que Jean Joubert semait sur sa route d’écrivain, comme les stations d’un chemin où l’on s’arrête un moment, avant de repartir vers d’autres investigations, d’autres découvertes. Recueils qu’il groupait, qu’il groupe de temps en temps dans des livres (ainsi procédait Reverdy) comme pour éclairer le fil directeur d’une œuvre. Poèmes qu’il lui est arrivé aussi de sélectionner, en 1997, dans son Anthologie personnelle, en avouant : « telle est … la trace que … j’aimerais laisser, en sachant qu’elle est hypothétique et sans doute fragile, comme le papier qui lui sert de support. »

Dans l’œuvre de Jean Joubert, très vite vint s’ajouter à la poésie une autre forme d’exploration de l’être, des êtres : le roman. Lecteur curieux, indiscret même, je suis toujours à l’affût des signes qui vont me révéler la personnalité de l’écrivain.  Un romancier  met  beaucoup  de  lui dans ses livres, ne serait-ce déjà que dans le choix du cadre où il fait évoluer ses personnages. Je n’ai pas été attentif aux premiers romans de Jean Joubert, sans doute trop occupé par ma tâche de professeur. C’est lorsque le sud commence à s’imposer dans l’écriture du romancier que je suis devenu sensible à l’ensemble de ses écrits. Le sud m’a toujours attiré, moi, l’homme du nord, selon Reverdy. « Les données d’un lieu, d’une saison, rejoignent les fatalités intérieures des êtres qui s’y déplacent », écrit Pierre Kyria en 1969, à propos de La Forêt blanche, roman dont le cadre n’est pas le sud mais la Forêt Noire ; le propos me paraît pouvoir s’appliquer aux romans qui suivront.

C’est le Prix Renaudot qui, venant couronner L’Homme de sable en 1975, a attiré mon attention sur ces livres que le poète publiait, parallèlement à ses recueils. On a dit que, dans ses romans, l’auteur a essayé « de transposer son expérience de l’écriture poétique », d’y mêler, d’y fondre réel et imaginaire. Certes. Je suis volontiers Michel Cosem quand il écrit : « Chaque fois que le roman se repose, que l’aventure humaine se ralentit, Jean Joubert laisse courir sur les choses le  regard d’un vrai poète ». Et lorsqu’il ajoute que c’est en choisissant d’écrire pour la jeunesse que Jean Joubert a pu vraiment faire entrer la poésie dans le roman.

Un bon livre pour adulte peut être lu par des jeunes, affirme Michel Tournier. Pourquoi l’inverse ne serait-il pas vrai ? Car tel est le cas des Enfants de Noé, qui reçoit en 1988 le Prix de la Fondation de France pour le meilleur roman pour la jeunesse. Jean Joubert a bien raison de classer ce livre parmi ses romans. En 1993, il me dédicaçait mon exemplaire en ces termes : « Pour Cl. C. cette reprise moderne d’un thème antique, Les Enfants de Noé prisonniers d’un déluge blanc ». Roman d’anticipation, récit d’aventures, fable écologique (nous dit le texte de dos), ce pur chef-d’œuvre, que j’ai découvert à 50 ans, a occupé nombre de mes soirées de l’hiver 88 ou 89. J’aime à lire et relire ces livres dans lesquels on entre un peu plus à chaque relecture. Ce roman, il me faudrait des pages  pour en parler. À chaque fois que je l’ouvre, le plaisir du lecteur revient, que j’aimerais analyser, si la place ne me manquait.

Dans les ouvrages en prose de Jean Joubert, il faut distinguer Les Sabots rouges, paru chez Grasset en 1979. De tous les livres de l’auteur, celui dont je suis le plus proche. Récit autobiographique qui commence par cette phrase : « Mon père est mort il y a trois semaines » (l’auteur est revenu  dans  le  Gâtinais de son enfance)  et  se termine ainsi : « …puis je pousserai la porte de la maison » (celle du sud, dans le petit village où il a décidé de vivre). Entre les deux événements, il y a une quête, celle d’une époque lointaine et des êtres dont ne reste que le souvenir. Et Matthieu Galey : « Jean Joubert a le don d’écouter le quotidien ». Quant à l’auteur : « Ce livre, je l’ai placé sous le signe du cœur. J’en prends le risque ».

Michel Cosem, qui a consacré un livre à son ami dans la collection « Visages de ce temps », aux Editions du Rouergue, terminait ainsi l’un des chapitres : « Jean Joubert est une des voix les plus authentiques de la littérature de cette fin de siècle. Son message est proche de nous, il est à la fois singulier et universel. L’œuvre de Jean Joubert n’est pas non plus terminée (1). À n’en pas douter, elle nous réserve encore de belles surprises ».

Qu’ajouter à ces propos, qui sont toujours d’actualité ? Je vous invite à une promenade dans son œuvre, en compagnie de ses amis. (2)

Sablé, 17 avril 2009, Claude Cailleau

  1. Il faut regarder les dates : j’écrivais ce texte en 2009. Jean Joubert est décédé en 2015
  2. Ce texte, paru dans ma revue, était suivi des articles de ses amis dont vous retrouverez les noms dans la page Journal de cet hommage à l’écrivain (Michel Cosem, Jean-Paul Giraux et quelques autres).

                 

La Maison, pour Jean Joubert

À Ingrandes-sur Loire, au début des années 1990, mes élèves et moi, nous nous intéressions aux maisons d’écrivains (toujours chez moi le besoin de connaître l’homme qui se cache derrière le livre et l’envie de partager cette passion avec les adolescents qui m’entouraient). Pour mes élèves, Jean Joubert  avait rédigé ce texte auquel il n’avait pas donné de titre.

 J’ai toujours aimé les maisons : maison natale d’abord, dans un Loiret de brumes, d’eaux lentes, de forêts, mais aussi, pendant les années d’errance, les maisons diverses, souvent dans des terres étrangères, qui ne furent, à vrai dire, que des amours fugaces. Puis – coup de foudre – dans la garrigue languedocienne, au nord de Montpellier, ce petit mas à l’abandon qu’il me fallut patiemment restaurer et ramener à la vie. Il était là, depuis des siècles, à l’entrée d’un minuscule village, au pied d’une colline qui l’abrite du vent du nord : logis de paysan, flanqué d’un potager, d’une vigne et de cyprès que le mistral chahute. Avec ses murs blanchis à la chaux, ses poutres grossières, ses dalles de pierre ou de terre cuite, sa grande cheminée carrelée de rouge où, de part et d’autre de l’âtre, on peut s’asseoir, il possède la beauté rustique et la simplicité qui plus que tout me plaisent. Le confort moderne, qu’il a bien fallu y introduire, est resté discret et n’a pas détruit l’esprit du lieu.

C’est là que je vis, avec ma famille, depuis vingt-cinq années. C’est là que j’écris, dans ma bibliothèque, que je nomme plutôt mon atelier : une ancienne grange, maintenant tapissée de livres, avec une table de ferme où peu à peu s’élève un rempart de papiers, dans le désordre apparent qui est celui des vrais chantiers littéraires. Une fenêtre donne sur le jardin, l’autre sur le verger : un monde d’oiseaux, d’insectes, de verdure et de soleil. Silence, solitude, spectacle renouvelé des saisons.

Naturellement cette maison est entrée dans mes livres. Elle est le décor – et, plus que le décor, un personnage – de l’un de mes romans, Un bon sauvage ; elle apparaît également dans certains chapitres d’un autre roman, Le Lézard grec, et la grande pièce commune m’a même servi de modèle, avec les transpositions nécessaires, pour celle du chalet, dans Les Enfants de Noé. De temps à autre, cette maison se glisse aussi dans mes poèmes. Pour peu que je voyage, son image m’accompagne comme un viatique, à la fois paisible et rassurant, qui peu à peu s’imprègne de nostalgie.

                                                                                                        Jean Joubert (1991)

Cette maison, il me fallait la voir, y entrer pour une sorte de pèlerinage sur les terres de l’écrivain. Ma femme et moi, nous y avons été reçus par un jeune homme, son petit-fils, qui en est devenu le propriétaire et s’efforce de la restaurer. Il s’est fait gentiment notre guide pour nous introduire dans toutes les pièces, qu’il en soit remercié. C’était bien pour moi un pèlerinage.

En 2003, pour saluer la nouvelle année, Jean Joubert m’envoyait un poème (« Un jour encore nous est donné ») avec en dédicace : « À Claude Cailleau en signe de fraternité poétique ». Je ne le donne pas ici pour respecter la propriété littéraire. En 1993, il m’avait dédicacé un livre paru chez Grasset : La main de feu. Ouvrage important dans son œuvre poétique et marquant pour moi puisqu’il m’avait donné en avant-première, en 1991, pour la revue que mes élèves et moi publiions au collège d’Ingrandes-sur-Loire, le premier poème de ce livre, qui allait paraître deux ans plus tard. Nous en étions très fiers.

Je reparlerai prochainement de la maison de Jean Joubert, en essayant de rassembler mes souvenirs.

Jean Joubert – Journal et n° 4 des Cahiers de la rue Ventura.

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