Mallarmé - Vers de circonstance – Les loisirs de la Poste – Écrivains
Publié le 7 Octobre 2022
Vous me croirez si vous voulez : la lettre portant ce poème en guise d’adresse arriva bien à son destinataire ! Partie de la Sarthe, elle était tombée dans la boîte d’un petit village du Gard.
Vous savez que dans le Pléiade de Mallarmé on trouve de sa plume malicieuse quelques quatrains-adresses accompagnant des messages d’amitiés. Savoir si arrivèrent les enveloppes ou les livres envoyés par le Maître ? Qu’importe, ouvrez le livre : vous reconnaîtrez sa main d’artiste. J’imagine les facteurs de ce temps, attablés à une terrasse parisienne ou assis, curieux, sur le banc d’un parc, occupés à décrypter les énigmatiques messages.
Nous étions en vacances au camping de Crespian – c’est dans le Gard, je crois – et dans nos promenades nous nous arrêtâmes un jour à Vic-Le-Fesq devant le bureau de poste pour y acheter des timbres. C’est une jeune femme souriante qui nous accueillit ; comme elle n’avait que nous à servir, nous bavardâmes un moment. Elle s’ennuyait, la pauvre, dans son officine peu fréquentée. Et nous la quittâmes en lui promettant une lettre pour la distraire. Y avait-elle cru ? Quelques jours plus tard, elle recevait une grande enveloppe sur laquelle les employés de la poste avaient trouvé le sonnet qui suit en guise d’adresse. Il fut lu, le poème, car je reçus quelques jours plus tard un bel accusé de réception de la postière. Voici, pour vous amuser…
Votre village dort aux confins des Cévennes.
De Nîmes au Vigan, il faut rouler longtemps ;
Les noms sur le chemin chantent clair de tout temps.
Route, peut-on savoir où ce jour tu nous mènes ?
En un bureau de poste où glissent les semaines,
Les mois et les années, où seuls quelques passants
Viennent emplir parfois le vide des jours lents :
On tisse à Vic-Le-Fesq des heures incertaines.
Ces lettres que l’on trie et classe le matin
Portent aussi du rêve ; à qui ? C’est au destin
D’être le messager de toutes les nouvelles.
Mais le pli cette fois, Madam’ le Receveur,
Est pour vous ! Souriez : quel titre ! Et quel bonheur :
Au 30118, on reçoit des nouvelles !
Claude Cailleau, été 1970 (Si vous lisez le poème à voix haute, n’oubliez pas de marquer la diérèse de l’avant-dernier vers pour lui garder un rythme d’alexandrin)
Après avoir parcouru des centaines de kilomètres au fond d’un sac postal, la lettre trouva bien son destinataire, preuve de la conscience professionnelle des employés de l’époque. Je n’essaierais pas aujourd’hui, persuadé que ma lettre finirait dans une poubelle…
Bon !... Maintenant je suis sûr que vous aimeriez lire quelques-uns de ces « vers de circonstance » signés Mallarmé, et qui en leur temps firent le bonheur de ses amis. Voilà…
L’âge aidant à m’appesantir,
Il faut que toi, ma pensée, ailles
Seule, rue 11, de Traktir
Chez l’aimable Monsieur Séailles.
Dans un autre :
Courez, les facteurs, demandez
Afin qu’il foule ma pelouse
Monsieur François Coppée, un des
Quarante, rue Oudinot, douze
(Stéphane Mallarmé)
Pour en lire un peu plus, vous ouvrirez votre Pléiade du poète ; vous en trouverez d’autres dans les « Vers de circonstance », à la rubrique « Les loisirs de la Poste ». À lire, par curiosité. On peut aimer, Mais j’ai dit précédemment – et personne n’avait protesté – qu’on ne pouvait pas nommer « poésie » les vers de circonstance. Je vous laisse juges.
Et pour les grincheux qui ont la critique facile, je mets mon poème dans la catégorie « Vers de circonstance » : c’était seulement pour distraire la jeune femme particulièrement accueillante qui s’ennuyait dans sa poste peu fréquentée. Si, plus tard, elle vous a parlé de moi, dites-lui qu’on ne l’a pas oubliée…
Claude Cailleau, samedi 8 octobre 2022