Palilalie… ( fragments 2 )

Publié le 2 Décembre 2020

Palilalie… ( fragments 2 )

Sur la photo, Port-Louis, l’entrée dans la Petite Mer. En face, la presqu’île de Gâvres. Au premier plan,  le balcon du studio qu’occupait le personnage de mon livre Et je marche près d’Elle…

Ces fragments ont été accueillis dans les pages d’une revue belge : Inédit Nouveau, créée et animée par Paul Van Melle. J’en avais réduit le nombre, chaque auteur n’ayant droit qu’à une page de format A4. La suite (ci-dessous)  parut dans le numéro suivant : l’ami Paul était attentif à notre travail, et je voulais, après la présentation de cette atmosphère quasi-surréaliste dans laquelle baignait mon travail d’écrivain, faire surgir dans le décor ces gamins qui allaient emplir ma vie pendant 41 ans ! Certains m’ont laissé de touchants souvenirs. Ils vous attendent dans les fragments qui suivent. Ceux-là ont maintenant plus de 40 ans. Mais je suis sûr qu’ils n’ont pas oublié.

 

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M’sieur, pourquoi vous parlez toujours de la Bretagne ? (Ont-ils vraiment posé la question ?) Les sixièmes, je les trouve plutôt sympa. Ils n’ont pas encore atteint l’âge de la rébellion. Pourquoi ? Parce que j’y suis né, mon vieux. Quand tu nais dans une province comme celle-là, tu lui appartiens. Pour toujours. Et quand tu te promènes sur la lande, le soir, que tu entends les ajoncs se plaindre sous le vent, et la mer qui gémit, en bas, dans les rochers, tu te dis que ce n’est pas ailleurs, que c’est bien là qu’un jour il te faudra finir. Et reposer en paix. Ai-je parlé ? Un grand silence dans la classe. Que savent-ils de moi, ces gamins ? Je passe un moment dans leur vie. Neuf mois, puis ils me quittent. Le métier…

 

… Aux troisièmes, j’aurais répondu : Ecrasez-vous, bouffons ! Si vous me cherchez, ça va chauffer grave. Mais non, je l’aurais pensé seulement. J’enseigne le français, pas le jargon de ces gamins provocateurs. Mais je les entends. Leur langue me plaît. C’est plein d’agressivité juvénile. Quand ils trouvent qu’un truc est formidable, ils disent que ça déchire. On ne sait pas trop ce qui se déchire. Peut-être la monotonie des jours, l’inintérêt de la vie. C’est le quotidien qui explose. J’étais pareil, il y a peu… Et le temps passe, hélas !

 

… Depuis combien d’années suis-je là, dans ce collège, à jouer la comédie ? La classe est un théâtre. Tous les jours, le même nombre de spectateurs. Et moi qui essaie d’en faire des acteurs. Après le cours, certains filent, pressés de fuir la prison, et je les comprends. Je n’ai jamais aimé l’école. D’autres, quelques-uns, s’approchent du bureau, interrogent, racontent, se confient. La vie, la vraie, arrive jusque dans la classe.

 

Ils sont là, collés à moi. Je sens leur souffle sur mon visage. Feuillettent mes livres, jouent avec le mécanisme de mon attaché-case. Ils parlent, parlent. Ils ont 11 ans. Peu leur importe qui je suis. Je les écoute. Ce temps qui passait, je n’en ai plus la clef… Tu as de la chance, dit Vil, qui croit se souvenir de ses écoles : s’ils restent avec toi, c’est par amitié. Je ne le crois qu’à moitié…

 

… Il fait froid. Monsieur, je n’ai qu’un petit pull ; ça caille. Je connais l’antienne. Parents indignes, qui envoient leurs gosses au collège sans un vêtement chaud ! Et qui vont se plaindre s’il se met à tousser. La fenêtre restera ouverte. Je n’ai pas signé de traité de paix. Je suis en guerre contre les microbes de ces gorges qui ramènent d’épaisses mucosités. L’effort bruyant pour ramoner à fond et éviter que le tuyau ne s’encrasse me fait toujours sursauter. Ces gamins-là doivent fumer en cachette…

 

… Trente visages devant moi, qui m’observent. En cet instant, ils ne savent pas que je m’éloigne d’eux. Les souvenirs… Ecrivez. Le poème est d’abord un langage dans la langue. L’image relève de l’analogie ; quand je dis : « Le temps qui passe noie les jours et bouscule les souvenirs… - M’sieur, vous pouvez pas répéter ? J’ai pas tout capté – Regarde sur ton voisin. Il s’obstine : C’est quoi, d’abord, la langue ? Moi, je comprends rien. Chiant, le môme. Il est temps de verrouiller le dialogue. (C’est quoi, la langue : bonne question !)

Vos stylos : on va faire un contrôle. – M’sieur, une feuille double ou une feuille simple ? – Prenez une feuille double, ce sera plus simple…                        

 Claude Cailleau, automne 2009

 

Deux activités pour occuper mes jours : l’écriture et l’enseignement. De cette dernière j’ai peu parlé. Quelques lignes dans mon Journal et dans ce livre en préparation au début du siècle. Il allait paraître en 2013 sous un titre chargé de sens : Et je marche près d’Elle… L’enseignement fut pour moi une belle expérience. Des rencontres avec des jeunes au riche monde intérieur. Je garde précieusement des lettres qu’ils m’envoyaient pendant leurs vacances. Un jour peut-être je les relirai pour vous. Une année, lointaine déjà, je fus en charge d’une classe où je trouvai une petite bande de gamins très soudés, venus de l’école de Solesmes. Ils sont là, bien vivants, dans les fragments que vous venez de lire.

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